Une révolte spirituelle

Surie se demandait comment elle pourrait survivre pendant huit jours, sans consommer sa ration quotidienne de pain.

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Debbie Shapiro

Posté sur 16.04.23

Il ne restait plus beaucoup de jours avant la fête de Pessa’h. Surie se demandait comment elle pourrait survivre pendant huit jours, sans consommer sa ration quotidienne de pain.
Messirouth nefech” est un concept qui de nos jours – où nous cherchons le plus souvent le plaisir immédiat – est difficile à comprendre. Cependant, je pense que les communautés religieuses florissantes d’aujourd’hui représentent une conséquence directe du “messirouth nefech” des générations précédentes dans le domaine de la religion. De fait, ces générations ont choisi la vie – la vie éternelle – et ont élevé des générations de juifs qui sont fiers de suivre le chemin de la Tora. De nos jours, les choix à faire sont nettement plus subtils qu’ils l’étaient auparavant. Pour autant, ces choix auront également une influence profonde sur les générations futures.
Même si l’histoire que nous allons raconter s’est déroulée pendant la fête de Pessa’h (Pâques), l’idée maîtresse de l’histoire – la lutte du petit nombre opposé au grand, ainsi que la pureté de la Tora versus la philosophie du laisser-aller – devrait nous être une source d’inspiration pour toute l’année.  
Lorsque Surie Minzer fut arrachée de sa famille bien aimée – dans la ville de Yowosna – pour être conduite au camp de travail “Hannesdorf ” en Tchécoslovaquie, elle se trouva subitement dans un monde différent de celui qu’elle avait connu jusqu’alors. En un instant – particulièrement cruel – elle fut coupée de tout ce qui lui était cher et elle devint un esclave sans nom qui devait travailler pour aider les allemands dans l’effort de la guerre.
Cependant, Surie pouvait se considérer chanceuse: les allemands l’avaient autorisée à amener avec elle quelques objets personnels: un sidour (livre de prières), son journal intime, quelques vêtements. Elle savait également qu’elle avait encore une famille et que les membres de celle-ci l’aimaient énormément. Plus important encore: elle avait hérité d’une foi solide et extrêmement forte en Hachem. Elle savait que même dans l’enfer sur terre où elle se trouvait, Il était avec elle et que peu importe ce qui allait se passer, Il ne la quitterait jamais. De savoir cela, lui donna la force de survivre.
Surie était la plus jeune d’une famille nombreuse ‘hassidique. Certains de ses frères et soeurs étaient déjà mariés et elle les adorait, de la même façon qu’ils l’adoraient. Malgré tout, dans la situation où elle se trouvait maintenant, elle ne pouvait que rêver de les revoir un jour et elle avait la possibilité d’exprimer ce rêve sur une carte postale – qui lui fallait rédiger en faisant attention à chaque mot qu’elle écrivait – deux fois par mois.
Il ne restait plus beaucoup de jours avant la fête de Pessa’h. Surie se demandait comment elle pourrait survivre pendant huit jours, sans consommer sa ration quotidienne de pain. En utilisant des termes voilés, elle fit part de son inquiétude sur une carte postale envoyée à son père. À ce dernier – interné dans le ghetto de Sasnowitz – elle demandait des conseils sur la façon à utiliser pour obtenir de la nourriture qui ne soit pas ‘hametz (nourriture fermentée qui est interdit de consommer pendant Pessa’h).
Le père de Surie lui répondit – en utilisant également des termes voilés – en lui disant que la mitswa la plus importante consistait à survivre et que si cela signifiait manger du ‘hametz, cela était une mitswa d’en manger. Dans les circonstances actuelles, il n’y avait sans doute pas d’autres choix; elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour survivre.
Tout en étant d’accord avec son père, Surie pensait malgré tout qu’elle devait faire tout ce qui était possible pour éviter de manger du ‘hametz pendant Pessa’h. À cette fin, elle cachait sous son aisselle des morceaux de navets de l’usine où elle travaillait et elle les mettait furtivement dans les espaces concaves des machines à coudre qui se trouvaient dans l’usine. Elle espérait pouvoir récupérer ces morceaux de navets plus tard, pendant la fête de Pessa’h.
Surie était secrètement ravie. Même si à première vue elle était humble et soumise, en son fond intérieur, elle se sentait une rebelle. De plus, elle avait le sentiment d’être au beau milieu d’une révolte d’un type particulier: une révolte spirituelle. Peu importe ce que les nazis essayaient de faire pour réduire en pièce son héritage culturel, elle les braverait et elle resterait une juive fière de sa lignée royale. Elle était décidée à ne jamais abandonner sa dignité intérieure.
Après plusieurs jours pendant lesquels elle avait bourré les machines à coudre de navets, Surie arriva à l’usine pour s’apercevoir immédiatement que quelque chose n’allait pas. Le commandant se tenait debout, sur le pas de la porte; il tenait dans ses mains un navet et il semblait très en colère.
“Attention!” cria-t-il.
Les filles de l’usine sursautèrent et ne bougèrent plus. Elles attendaient de savoir ce qu’elles devaient faire… ou ne pas faire.
“Une d’entre vous a rempli les machines à coudre de navets et comme résultat, la machine à coudre ne fonctionne plus. Qui ose saboter l’effort de guerre allemand?”
Personne bougea.
“Vous ne bougerez pas d’ici jusqu’à ce que le coupable admette son crime” hurla le commandant.
Malgré la menace, personne ne bougea.
Une heure passa; puis deux heures; puis quatre. Les filles – vêtues seulement de haillons pour les protéger des intempéries – grelottaient. Nombreuses étaient celles qui s’appuyaient sur leurs amies pour ne pas tomber.
Surie décida qu’elle ne pouvait plus supporter cette situation. Elle ne pouvait plus regarder ses amies souffrir à cause d’elle parce qu’elle désirait faire une mitswa. Elle pensait que d’un instant à l’autre, le commandant commencerait à tirer à coups de revolver sur les filles innocentes, une après l’autre. Tout cela à cause de son attitude de défiance. Cela était plus que ce quelle pouvait supporter.
Elle était sur le point de faire un pas en avant et d’admettre son “crime” lorsqu’elle entendit une femme crier: “C’est moi. C’est moi qui l’aie fait. J’ai rempli les machines à coudre de navets.”
“Ton nom?” cria le commandant.
“Bluman Sara*,” répondit la femme d’une voix calme. Elle savait ce qui l’attendait et elle semblait prête à l’accepter.
“Ton numéro de caserne?” continua le commandant.
“Sept cent quarante trois.”
“Renvoyées. Retournez toutes à votre caserne.”
Les filles commencèrent à reprendre le chemin de leur camp de détention. Il n’y aurait pas de travail aujourd’hui. Les machines à coudre étaient inutilisables. Toutes pensaient qu’une exécution aurait lieu plus tard, dans la soirée.
Surie se faufila dans le but de se retrouver aux côtés de Sara. “Pour quelle raison as-tu avoué quelque chose que tu n’as pas fait?” demanda-t-elle.
“Mais je l’ai fait” répondit Sara.
De fait, sans se connaître mutuellement, les deux filles avaient rempli les machines à coudre de navets. Les deux filles avaient risqué leur vie pour la même raison: accorder l’honneur qui revient à une mitswa.
Ce soir-là, les filles attendirent nerveusement l’annonce prochaine de l’exécution. Elles n’avaient aucun doute que les nazis tortureraient Sara et qu’ils la tueraient pour son acte de sabotage. Elles burent leur café boueux et se couchèrent sur leurs planches de bois. Elles attendaient avec angoisse le moment où elles seraient forcées de quitter leur couche pour aller dans la cour du camp afin de regarder leur amie se faire tuer.
Cependant, toutes les filles se réveillèrent seulement… le lendemain matin. Au lever, elles burent de nouveau leur café boueux et furent ordonnées de se rendre à l’usine. Dans la nuit, les machines à coudre avaient été réparées et on attendait de toutes les filles qu’elles reprennent leur travail.
Tout ce déroula comme si la veille rien ne s’était passé.
* * *
Surie et Sara survécurent à la guerre.
Surie se maria avec un cousin éloigné et elle éleva une famille entière de juifs qui marchent tous dans le chemin de la Tora. Aujourd’hui, Surie possède des centaines de descendants qui ont tous hérité de la foi solide et extrêmement forte en Hachem de leur mère, grand-mère et arrière-grand-mère.
Bluman Sara a elle aussi élevé une famille entière de juifs qui suivent la volonté du Créateur. Sa fille a épousé un fameux rabbin ‘hassidique.
Elles avaient choisi de se rebeller… et elles gagnèrent!
 
(*un pseudonyme)
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(D’autres histoires de Debbie Shapiro se trouvent dans son livre (en anglais) “Bridging the Golden Gate” (“Construire le Golden Gate”))

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