Quand le sauveteur est sauvé

C'est grâce à D-ieu que je peux aujourd'hui écrire cet article, plutôt que ce soit une personne qui l'écrive à propos de moi !

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Shamai Goldstein

Posté sur 06.04.21

L'auteur est membre d'Hatsala – un service d'ambulance bénévole orthodoxe.
 
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C'est grâce à D-ieu que je peux aujourd'hui écrire cet article, plutôt que ce soit une personne qui l'écrive à propos de moi !
 
 On venait de nous demander de nous rendre rapidement vers les tours jumelles de New York. Même si nous savions qu'elles étaient en feu, nous ne savions pas exactement ce qui nous attendait. Je conduisais l'ambulance d'Hatsala vers Manhattan en me demandant ce que j'allais voir dans quelques minutes. Nous pouvions apercevoir clairement de la voie express en direction du tunnel, le haut des tours en feu.  
 
Alors que nous sortions du tunnel afin d'emprunter la rue de l'ouest, je vis des parties de corps partout dans la rue. Je vis un morceau d'un avion ; cela ressemblait à un moteur à l'arrière d'une voiture brûlée. Alors que nous nous approchions, on nous demanda de garer l'ambulance le plus près possible des tours. Je crois que l'on se trouvait juste derrière les deux tours.
 
Ensuite, on nous signala qu'il y avait peut-être un troisième avion qui allait s'écraser dans les immeubles ; nous sommes alors remontés dans l'ambulance et nous avons commencé à nous éloigner quelque peu. De nouveau, on nous dit que le risque était passé et que l'on devait garer l'ambulance sur la rue juste derrière les tours. 
 
Nous nous sommes garés et nous avons attendu de nouvelles instructions provenant du Centre de Commande qui se trouvait dans l'entrée des tours. Tandis que nous attendions, de nombreux membres d'Hatsala commencèrent à se rassembler autour des ambulances; nous regardions tous les tours brûler. Il y avait seulement un immeuble qui nous séparait des tours.
 
Alors que nous attendions, nous vîmes des gens sauter par les fenêtres des tours sous l'étage en feu. Ils avaient le choix entre brûler dans l'immeuble ou sauter pour trouver la mort. Je crois que c'est un spectacle que je n'oublierai jamais. Nous avons commencé à dire des Tehilim (Psaumes). Nous nous sentions tellement impuissants de voir que nous ne pouvions rien faire d'autres que de les regarder se jeter pour trouver la mort.
 
Alors que nous attendions des instructions, nous avons entendu un violent grondement. Je levai les yeux et vis qu'une des tours commençait à s'effondrer. Je me suis mis à courir ainsi que tous les autres, pour sauver notre vie. Un énorme nuage de fumée, poussière et débris nous rattrapa. À cet instant tout devint sombre, si sombre que l'on ne pouvait pas voir à deux centimètres devant nous.
 
La fumée et les débris étaient si épais que je ne pouvais pas respirer. C'était comme si on m'avait mis la tête le sachet d'un aspirateur rempli de poussière : impossible de respirer. Il m'était également impossible de garder les yeux ouverts; tout ce qui se trouvait dans l'air les brûlait. Pendant que je courrais, je commençais à respirer difficilement. L'air était si épais qu'on aurait pu le couper! Cela ressemblait à la plaie de l'obscurité décrite dans la Tora.
 
Alors que nous courions, un membre de l'équipe d'Hatsala trébucha. Je m'arrêtai pour l'aider à se relever; grâce à D-ieu, il y parvint. Autrement, je crois qu'il aurait été écrasé pas la masse de gens qui courait dans tous les sens. Au même moment, je remarquai une radio longue distance sur le sol. Malgré la confusion, je la ramassai; je ne sais pas vraiment pourquoi. Tandis que nous continuions à courir, la fumée et les débris nous rattrapèrent. Nous ne pouvions rien voir et nous étions incapables de respirer.
 
Je savais que – d'une manière ou d'une autre – il fallait que je trouve un abri. Je ne savais pas exactement ce qui pouvait sortir de la tour – ou du ciel – mais j'étais conscient que cela était dangereux. J'envisageai de me cacher sous un camion de pompiers, mais cela devenait de plus en plus difficile de respirer et il fallait continuer à s'éloigner de cet enfer.
 
Je commençais à manquer de souffle et je savais que je devais entrer dans un immeuble. Mais avant toute chose, il fallait que j'arrête de courir. J'entrai dans une cour, ce qui me permit de m'arrêter de courir et de reprendre un peu mon souffle. Cela devenait vraiment difficile de respirer : la course que je venais de faire et l'air irrespirable rendait la situation périlleuse. Je m'assis et je commençais sincèrement à penser que ma fin approchait. J'avais un besoin énorme d'oxygène et il y en avait si peu !
 
J'étais persuadé qu'il y avait un immeuble quelque part dans cette cour, mais il était littéralement impossible de voir quoi que ce soit. Il fallait seulement que je me calme ; ensuite, il fallait que je trouve une fenêtre – n'importe laquelle – et que je la casse pour entrer dans un immeuble. À cet instant, j'entendis des gens demander en hurlant s'il y avait quelqu'un dans les alentours ; je répondis par l'affirmative. Nous ne pouvions toujours pas voir grand chose. Le calme régnait; il n'y avait aucun bruit. Un homme fort tomba sur moi pendant que j'étais assis à reprendre mon souffle.
 
Il me demanda si j'étais une personne. Je lui répondis qu'il devait me tenir par la main et qu'ensemble nous survivrions peut-être. Nous nous tenions l'un à l'autre et nous reprîmes notre marche forcée. Toujours à la recherche d'un immeuble pour nous mettre à l'abri, nous en aperçûmes le mur d'un à quelques mètres de l'endroit où nous nous trouvions. Nous nous approchâmes et – à tâtons – nous pûmes toucher une grande fenêtre; nous espérions qu'en continuant, nous trouverions une porte. 
 
Effectivement, nous vîmes un peu plus loin une grande porte en verre. Elle était fermée à clé. Je voulus prendre ma radio d'Hatsala et casser la vitre avec, mais je ne la trouvai pas. Je pris alors la radio que j'avais trouvée dans la rue – et qui était aussi une radio d'Hatsala qu'une personne avait certainement perdue – et je commençai à frapper très fort contre la vitre dans l'espoir de casser le verre. Je n'y arrivai pas. Grâce à D-ieu j'avais cette radio qui était deux fois plus grande que ma petite radio habituelle.
 
Même si je ne parvins pas à casser le verre, le bruit que je faisais était important Je ne sais pas si quelqu'un m'aurait entendu taper avec ma radio. Une personne à l'intérieur de l'immeuble s'approcha de la porte et me fit signe d'arrêter de taper. Il ouvrit la porte et nous laissa entrer.
 
Nous retrouver dans le hall d'entrée de cet immeuble nous réconforta un peu. Notre situation était définitivement préférable qu'être à l'extérieur. Il y avait de la lumière et de l'eau. Nous étions tous choqués par la quantité de débris et la fumée qui envahissait tout le quartier. Nous sommes restés à l'entrée environ 15 minutes, jusqu'à ce que la deuxième tour s'effondre. Grâce à D-ieu, la radio que j'avais trouvée était en état de marche et je pus communiquer et faire savoir aux autres membres d'Hatsala que j'étais bien en vie et où je me trouvais.
 
Entendre les autres membres d'Hatsala hurler dans leur radio pour obtenir de l'aide fut un moment extrêmement pénible. Les voix que j'entendais étaient celles de personnes qui ne savaient pas exactement où elles se trouvaient et si elles allaient survivre à cet enfer. Un des membres criait et pleurait en expliquant qu'il était bloqué et encerclé par le feu tout autour de lui et qu'il ne savait pas où il se trouvait. En écoutant tout cela à la radio, j'eus la conviction qu'au Ciel, nous étions entrain d'être jugés.
 
À cet instant, on nous ordonna de sortir de cet immeuble car les risques de le voir s'effondrer également étaient grands. Quelqu'un nous donna des masques contre la poussière qu'ils avaient trouvés. Je saisi une chemise, la mouilla et la déchira en deux. Je remis une moitié à un pompier pour que l'on puisse avoir quelque chose qui nous permettrait de filtrer l'air.
 
Lorsque nous sortîmes dans la rue, le chaos régnait de partout. Nous n'avions aucune idée de ce qui allait nous arriver, si nous pourrions survivre. Je vis une ambulance d'Hatslala ; j'en profitai pour y pénétrer à l'intérieur. D'autres membres de notre équipe avaient déjà trouvé refuge dedans. Nous avions un grand besoin d'oxygène. Nous étions couverts de débris, de la tête aux pieds. L'ambulance était aussi recouverte – à l'intérieur et l'extérieur – de cette même poussière.
 
Chose extraordinaire, l'ambulance dans laquelle je me trouvais était celle avec laquelle j'étais venu. J'y retrouvai mon équipement médical, qui était lui aussi recouvert de débris. Nous mirent des masques à oxygène; nous devions les utiliser à tour de rôle car nous n'en avions pas suffisamment pour tout le monde. Chacun à son tour voulait que l'autre l'utilise en disant : "Tu en as plus besoin que moi."Mi ki 'amo Israël !”  (“Qui est comme ton peuple Israël!”). Je mis en marche l'oxymètre pour mesurer ma quantité d'oxygène ; même si le taux normal est de 97-100, j'en avais seulement 93-94.
 
L'ambulance continua doucement à avancer jusqu'au point où il n'était plus possible d'aller plus loin : le chaos régnait de partout. Nous nous trouvions sur le quai, pas très loin des tours. La police avait fait venir des bateaux pour transporter les personnes de Manhattan vers le Parc Liberty dans le New Jersey. Je savais que je devais sortir de là, il m'était difficile de respirer.
 
Je descendis de l'ambulance en me dirigeant vers les bateaux. Seuls les femmes et les enfants étaient autorisés à monter; pour les hommes, il fallait encore attendre. Je me dirigeais vers les personnes qui essayaient de contrôler tant bien que mal ce flot humain afin de leur expliquer que j'étais infirmier; je fus autorisé à monter sur le bateau.
 
Je me sentais tellement désemparé sans mon équipement pour aider les gens ! Il y avait un pompier qui ne pouvait pas voir. Il avait tellement de débris dans ses yeux qu'il était obligé de les tenir fermés. Il y avait une femme du bureau central médical qui avait la jambe cassée. Le médecin en chef du bureau avait les mains lacérées. Je lui dis que j'étais content de le voir debout! Il y avait une personne qui avait une crise d'asthme. J'ai fait de mon mieux pour aider ceux que je pouvais aider.
 
Lorsque nous arrivâmes au Parc Liberty, une énorme tente avait été installée pour trier les patients qui descendaient des bateaux. J'aidais quelques pompiers à faire un travail qui semblait totalement inhumain. Le chef des pompiers – Murphy – avait des douleurs à la poitrine. Je lui donnais un peu d'oxygène et je demandais à une ambulance de l'amener à l'hôpital. Il me remercia, ainsi que l'équipe d'Hatsala. J'aidais d'autres patients pendant encore environ une heure, jusqu'à ce que ce fût mon tour de me sentir très mal.
 
Je n'avais pas mangé de la journée. Le matin, j'étais encore à la synagogue lorsque j'avais reçu l'appel d'Hatsala. À cet instant, j'avais accompagné mon fils à la yéchiva et je m'étais rendu directement en ville. Sur le chemin, je me suis rappelé que je n'avais pas encore dit le "Chema' Israël ". J'ai dit le reste de ma prière vers 13H ou 14H, pendant que j'étais soigné pour épuisement physique et inhalation de fumée toxique.
 
On m'amena à l'hôpital où le personnel fut incroyable. Personne ne pouvait croire que nous étions encore vivants. Un docteur juif entra dans la chambre, me regarda et dit "Baroukh Hachem !” (“Grâce à D-ieu !”).
 
Mon compagnon de chambre à l'hôpital était un infirmier d'un centre médical lorsqu'il fut frappé par des débris provenant de l'immeuble où il travaillait et qui s'était effondré. Il ne se souvenait pas comment il s'en était sorti. Une fois que la poussière était tombée, le centre médical était en flammes. Il était gravement blessé mais il survécut, grâce à D-ieu.
  
À l'hôpital, je fus rapidement examiné dans la salle d'urgence. On m'envoya ensuite dans une chambre où on me fit des tests sanguins et une radio de la poitrine. Grâce à D-ieu, tout allait bien ! Je suis sorti de l'hôpital vers 16H. Certains membres d'Hatsala avait réussit à se rendre à l'hôpital et nous étions plus qu'heureux de se voir tous en vie. Deux d'entre eux étaient particulièrement heureux : ils étaient entrain d'entrer dans une des deux tours lorsqu'elle s'effondra.
 
Nous devions absolument retourner à Brooklyn, mais tous les ponts et les tunnels étaient fermés. Nous nous sommes approchés de policiers et leur avons expliqué que nous étions des infirmiers de secours et que nous devions retourner vers le centre ville ; ils vérifièrent nos papiers et nous laissèrent passer.
 
Les miracles que nous avons tous connus en tant qu'individu et en tant que membres d'Hatsala sont indescriptibles. Le 'hessed d'Hachem (la bonté de D-ieu) est sans limite. Grâce à D-ieu, tous les membres d'Hatsala ne comptèrent que des membres cassés, des égratignures et des contusions – mais tous étaient cependant en vie !
 
Nous devrions tous dire les Tehilim (Psaumes) et prier pour ceux qui furent tués, pour les disparus, ainsi que pour les blessés.
 
Il y eut de nombreuses histoires de miracles et de 'hessed dont nous fûmes les premiers témoins lors de ce drame national.
 
Le lendemain matin – lorsque je me levai et que je prononçai "Modé ani " (“Je te remercie … de me rendre mon âme” [la première prière que nous faisons en nous réveillant]) – j'ai senti que les mots avaient pris un tout autre sens. Ma prière fut un peu plus longue que d'habitude. Je n'étais pas pressé de quitter la synagogue ce matin-là. La vie est bien trop courte et précieuse. Malheureusement, il faut quelques fois de telles situations pour nous réveiller.
 
Puissions tous être inscrits dans le livre de la vie et que nous n'ayons plus jamais à assister à de telles tragédies. Puisse le Messie arriver le plus tôt possible, Amen.

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