Changement de direction

Je ne veux pas être nostalgique, mais ces paroles m'ont ramené à l'époque de ma période rebelle d'adolescent en âge de Bar Mitswa...

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le rabbin David Schallheim

Posté sur 10.06.21

Il y a une expression talmudique qu'on appelle : “girsa deyounkassa”. Cette expression fait référence aux années d'apprentissage, durant notre jeunesse, lorsque ce que nous apprenons restera en nous pour toujours et, pour cette raison, ne sera pas facilement oublié.
 
Cette expression est également utilisée familièrement dans les yéchivoth pour faire référence à ces souvenirs qui restent embrouillés dans nos cerveaux. Un peu comme lorsque mon rabbin de Talmud décrivait avec embarras les divans mentionnés dans Meguilath Esther : "Le style de chose sur lesquelles on voyait Cléopatre s'allonger dans ces films et où les serviteurs laissaient tomber des raisins dans sa bouche !…" Quoi ? “Girsa deyounkasa”!
 
Voyager en Israël dans un bus de la compagnie “Egged” me catapulte souvent vers ce passé. Mes oreilles se dressent, lorsque j'entends à la radio la musique de Jethro Tull, un groupe de rock des années soixante-dix : 
 
"Tu peux me parler lorsque je vais à l'école le dimanche… et avoir tous les évêques chanter en cœur ces lignes… Je ne te crois pas, tu as tout faux… Il n'est pas de ton genre, à tourner en rond le dimanche." Voici un autre “girsa deyounkassa” !
 
Je ne veux pas être nostalgique, mais ces paroles m'ont ramené à l'époque de ma période rebelle d'adolescent en âge de Bar Mitswa en Californie du sud. À cette époque, j'éprouvais un tel dédain envers toutes les organisations religieuses que j'aurais préféré m'enfermer dans un scaphandre plutôt que d'aller assister à une de leurs soirées !
 
Même si la synagogue “Reform” où j'allais avec mes parents – généralement le vendredi soir – faisait des efforts véritables pour nous intéresser au service religieux, leurs discours étaient tellement remplis d'incohérences que j'avais de la difficulté à croire que mes parents pensaient que tout cela était vrai.
 
Évidemment, pour la plupart des personnes présentes, la prière n'était pas véritablement la raison maîtresse pour laquelle elles se rendaient à la synagogue. Plutôt, leur envie était de rencontrer des gens et de discuter avec eux d'à peu près tout… sauf de religion. Vous comprenez sans doute pourquoi je ne me sentais pas très proche de D-ieu lorsque j'étais adolescent.    
 
Qu'est-ce que j'aurai alors dit si on m'avait appris l'obligation biblique de se rendre  à la synagogue trois fois par jour afin d'y prier ? Je faisais partie de ces individus qui ont de forts préjugés contre la religion et pour lesquelles la prière communautaire représente un grand obstacle. Comment une prière personnelle peut-elle avoir un sens si tout le monde doit réciter exactement les mêmes mots ? Pour quelle raison les prières doivent-elles être récitées à une heure précise ? D-ieu attend-Il de nous que nous ouvrions nos cœurs sur demande ?
 
Le point crucial de toutes ces questions se situe dans un malentendu sur la signification du mot hébreu “tefila”, traduit d'une façon inadéquate par le mot “prière”. En hébreu, le verbe “l'hitpalel ” (“prier”) est un verbe réfléchi, à la forme pronominale. Évidemment, “réfléchi” ne signifie pas que l'on prie pour soi-même. Ainsi, pour quelle raison le verbe “prier” est-il à la forme réfléchie ? La réponse peut s'éclaircir si l'on apprend que la racine du mot “hitpalel ” est “pilel qui signifie “juger”.
 
Afin de comprendre le lien entre “prier” et “juger”, nous devons comprendre la fonction profonde d'un juge. Un juge prend des témoignages contradictoires, des désaccords et insuffle dans cette situation de confusion la clarté de la Vérité divine de la Tora. Cette “vérité” pénètre au cœur même des opinions opposées, des querelles et dissensions et crée une nouvelle unité à un niveau plus élevé.  
 
De même, lorsque nous prions, nous nous insufflons nous-mêmes de sens et de contentement de grandes idées composées par les prophètes. Nous nous demandons : comment nous mesurons-nous face à ces principes? Est-ce que nous nous sentons concernés par la rédemption, la justice, l'intelligence, la repentance et une horde d'autres idées cosmiques qui enveloppent le désordre mouvementé de notre vie quotidienne ?
 
La prière est réflexive parce qu'elle nous met face à face avec la grande harmonie au cœur même de notre existence. En d'autres termes, la tefila (prière) n'est pas un débit d'émotion : c'est une affluence d'Énergie divine, une ordonnance pour l'âme formulée par les plus grands médecins de l'âme : 'Hazal, les maîtres spirituels juifs.
 
Le judaïsme est composé de moments spécifiques censés être utilisés pour une raison particulière. Ainsi, il y a les moments pour épancher notre âme, cela s'appelle hitbodédouth. Il y a des moments pour te'hina (implorer) et sia'h (converser)… Cependant, cela ne correspond pas nécessairement à ce que nous faisons trois fois par jour dans la tefila.
 
Que nous sentions le besoin – l'envie – de prier où pas, lorsque l'heure de prier arrive, il ne faut pas s'attarder. Cela s'explique par le fait que la tefila est la nourriture de l'âme et que nous en avons besoin trois fois par jour, même s'il peut nous arriver de ne pas avoir faim. Cela ressemble un peu à une horloge qu'il nous faut remonter trois par jour, même si quelques fois nous aimerions la remonter un peu moins souvent.
 
Je conserve une vieille montre en or qui a cent ans et qui appartenait à mon grand-père. J'ai mis cette montre à côté de mon ordinateur – symbole du modernisme – afin de ne pas oublier certaines choses : mes origines, les avantages que je retire de l'incroyable progrès technologique, l'étonnante dextérité manuelle d'hier (la montre fonctionne encore. Est-ce que mon ordinateur fonctionnera dans dix ans ?)… Parce j'aime régulièrement changer de direction, cette montre me rassure et me fait réfléchir un peu plus que je serais autrement porté à le faire.
 
Si l'on m'avait expliqué tout cela lorsque j'étais plus jeune, j'aurais peut-être compris l'intérêt du passé, de mes ancêtres. J'aurais sans doute compris que “changer de direction” n'est pas mauvais en soi, mais faut-il encore que cela nous serve à autre chose qu'à nous faire seulement plaisir. Après tout, les animaux aussi pendent beaucoup à se faire plaisir dans la vie. Si on avait expliqué tout cela à l'adolescent rebelle que j'étais, je n'aurais peut-être pas perdu tant d'années à chercher ce qui se trouvait en moi.

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