Une importance de premier ordre

Cette énonciation sublime du monothéisme absolu était une déclaration de guerre contre toute sorte de polythéisme, l’adoration de plusieurs divinités et contre le paganisme...

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le rabbin 'Haïm Harboun

Posté sur 06.04.21

La signification de la prière du Chema' Israël
 
“Écoute, Ô Israël, l’Éternel est notre D-ieu, l’Éternel est Un.” Ces paroles renferment la plus grande contribution du judaïsme à la pensée religieuse de l’humanité. Elle constitue la primordiale profession de Foi dans le religieux de la synagogue déclarant que le D-ieu Saint, Adoré et Proclamé par Israël est Un et que Lui seul est D-ieu, Qui a été, Qui est et qui sera  toujours. Cette phrase qui ouvre la prière du Chema' occupe – à juste titre – la place centrale dans la pensée religieuse juive, car toute autre croyance du judaïsme tourne autour d’elle ; tout y retourne ; tout en découle.
 
Ses négations : Polythéisme
 
Cette énonciation sublime du monothéisme absolu était une déclaration de guerre contre toute sorte de polythéisme, l’adoration de plusieurs divinités et contre le paganisme, la définition d’une quelconque chose finie ou d’un être ou d’une force de la nature. E
 
lle rejeta avec mépris le culte des étoiles et l’adoration du démon qui se pratiquaient à Babylone, le culte des animaux en Égypte, l’adoration de la nature en Grèce, le culte de l’empereur à Rome, aussi bien que les idolâtries de la pierre, de l’arbre et du serpent d’autres religions païennes, avec leurs sacrifices humains, leurs rites lascifs, leur barbarie  et leur inhumanité. Le polythéisme rompt l’unité morale  des hommes et implique une variété de catégories morales, c'est-à-dire aucune catégorie du tout.
 
Cependant, l’étude des religions comparée montre clairement que dans le polythéisme, “côte-à-côte avec un D-ieu Supérieur de justice et de vérité, le culte d’une déesse de l’amour sensuel, d’un dieu de l’ivresse, ou même d’un dieu des voleurs et des menteurs peut être maintenu” (Farnell)
 
Certes, ce n’est certainement  pas le sol sur lequel peut pousser un système éthique élevé et logique. Cela est vrai même de la forme supérieure du polythéisme, comme le paganisme des grecs. “Les divinités de l’Olympe se bornaient à copier et même à exagérer les plaisirs et les souffrances, les perfections et les imperfections, la douceur et la bassesse de la vie terrestre. L’homme ne saurait en recevoir une direction morale quelconque. Les grecs ne possédaient rien qui ressemblât même de loin au décalogue, pour les retenir et les lier” (Kastein).
 
Malgré l’amour de la beauté qui caractérisait les grecs – et en dépit de leur esprit chatoyant – ils demeurèrent barbares tant religieusement que moralement. Leur race fut perpétuée par leurs disciples, les romains de l’époque impériale, comme le prototype de tout ce qui était mensonger, cruel, âpre et injuste. Le fruit de l’enseignement païen des grecs s’identifie le mieux dans les horreurs de l’arène, les crucifixions en masse, les bestialités indicibles de ces mêmes disciples : les romains de l’époque impériale. 
 
Tout à fait autre fut l’œuvre du monothéisme hébreu. Sa prédication du D-ieu Un et Omnipotent libérera l’homme de l’esclavage de la nature, de la peur des démons, des lutins et des fantômes ; de toutes les créatures de l’imagination puérile ou maladive de l’homme. Et ce D-ieu Un est Celui qui est “sanctifié par la justice”. C’est ce qu’on a appelé le “monothéisme éthique.”
 
 Il a pu avoir certaines reconnaissances de l’unité de la Nature divine parmi quelques peuples : par exemple, le culte solaire unitaire d’Akhnaton en Égypte, ou quelques faibles lueurs fugitives comme on perçoit  dans l’ancienne Babylone. Mais dans aucun de ces systèmes de culte il représentait un élément essentiellement éthique, transfusé avec la Loi morale et considérant la conduite morale comme le commencement et la fin de la vie religieuse.
 
De même, la pensée et les pratiques morales ont existé partout et de tous temps ; cependant, l’idée sublime que la moralité est quelque chose de divin, spirituelle dans son essence la plus intime, c’est là l’enseignement distinctif des Écritures hébraïques. Dans le monothéisme hébreu, les valeurs éthiques ne sont pas seulement les valeurs humaines les plus élevées, mais ce sont exclusivement les seules valeurs éternelles. “Il n’est personne sur terre que je désire à côté de Toi” s’exclame le psalmiste. Ces mots ne sont que la transposition poétique de la prière du Chema' en termes d’expérience religieuse.  
 
Dualisme
 
Le Chema' exclut le dualisme, toute hypothèse de deux puissances rivales, l’une de la lumière et l’autre des ténèbres, l’univers étant considéré comme l’arène d’un conflit perpétuel entre les principes du Bien et du Mal. C’est la religion de Zoroastre, le prophète de la Perse ancienne. Son enseignement était – de loin – en avance sur toutes les autres religions païennes. Cependant, elle était en profonde contradiction avec la croyance en un Maître Unique et Suprême du Monde, formant la lumière et dans le même temps, contrôlant les  ténèbres (Isaïe 45 : 7).
 
Dans la conception juive, l’univers avec toutes ses forces contradictoires est merveilleusement harmonisé en sa totalité et en somme, le mal est maîtrisé et finit par fournir une nouvelle source de puissance pour la victoire du bien. “Il fait la paix en Ses hauts lieux.” D’aucuns prétendent que c’est au zoroastrisme que la théologie juive doit plusieurs éléments folkloriques, notamment son angéologie.
 
Mais quoique les générations ultérieures du judaïsme aient parlé de Satan et de toute une hiérarchie d’anges, ceux-là ont toujours été considérés invariablement  et d’une manière absolue comme des “créatures” de D-ieu. Attribuer à l’un quelconque de ces êtres des pouvoirs divins et les voir comme indépendants de D-ieu – ou en une façon quelconque les placer sur un pied d’égalité avec l’Être suprême – eut paru à toutes les époques, pour les Juifs, un blasphème monstrueux.
 
Il convient de noter que les mystiques juifs placent l’homme plus haut – parce que doué de libre arbitre – dans l’échelle de l’existence spirituelle, que n’importe quel “messager”, ce qui est la traduction littérale du mot “ange” et du terme hébraïque original également. 
 
Le panthéisme
 
Le Chema' exclut aussi le panthéisme, qui considère que la totalité des choses est la divinité. Le résultat inévitable de la croyance que toutes choses sont divines et toutes également divines, c’est que la distinction entre le bien et le mal, entre le sacré et le profane, perd tout sens. En outre, le panthéisme frustre l’être divin de la personnalité consciente. Dans le judaïsme, au contraire, quoique D-ieu pénètre l’univers, Il lui est transcendant.
 
“Les cieux sont l’ouvrage de Tes mains. Ils périront ; mais Toi, Tu subsistes. Ils s’useront tous comme un vêtement. Tu les changeras, comme un habit et ils seront changés. Mais Toi, Tu restes le même et Tes années ne finiront point” (Psaumes 102 : 26-28).
 
Nos Sages exprimèrent la même pensée lorsqu’ils dirent : “L’Être Saint, béni soit-Il, renferme l’univers mais l’univers ne Le renferme pas.” Loin de soumettre le Créateur à son univers créé, ils auraient endossé les vers d’Emily Bronté :
 
“Bien que fussent disparus les hommes et la terre,
Et astres et univers eussent cessé d’être.
Et Toi, Tu serais resté solitaire,
Tout en Toi continuerait d’être.”
 
Le judaïsme ne reconnaît pas d’intermédiaire entre D-ieu et l’homme et déclare que la prière doit être adressée à D-ieu seul et non à un autre être dans les Cieux ou sur la terre.
 
Implications positives : Fraternité des hommes        
 
La croyance à l’unité de la race humaine est le corollaire naturel de l’Unité de D-ieu, car le D-ieu Un doit être le D-ieu de toute l’humanité. Il fut impossible au polythéisme d’atteindre la conception de l’Humanité Une. Il n’aurait pas d’avantage pu écrire le dixième chapitre de la Genèse, qui fait remonter l’ascendance de toutes les races des hommes à un ancêtre commun, qu’il n’aurait pu écrire le premier chapitre de la Genèse, lequel proclame le D-ieu Un comme le Créature de l’univers et de tout ce qu’il contient.
 
C’est seulement grâce au monothéisme hébreu qu’il a été possible d’enseigner la fraternité des Hommes et c’est le monothéisme hébreu qui proclame le premier : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.  Et l’étranger qui séjourne parmi vous sera pour vous comme celui qui est né parmi vous ; tu l’aimeras comme toi-même” (Lev.18, 34). 
 
Unité de l’Univers
 
La conception du monde a été la base de la science moderne et de la vision moderne du monde. La croyance à l’Unité de D-ieu ouvrit les yeux de l’homme à l’unité de la nature ; “qu’il y a une unité et une harmonie dans la structure des choses parce qu’il y a unité dans leur source” (L. Roth). C’est ainsi que Whitehead déclare que la conception d’une régularité cosmique absolue est monothéiste à l’origine.
 
Et “chaque nouvelle découverte confirme le fait que dans toute la vérité infinie de la Nature il y a un seul et même Principe à l’œuvre ; qu’il y a une Puissance de contrôle  qui – dans les termes mêmes de notre hymne “Adon Olam” – n’a ni commencement ni fin, existant avant que toutes les choses n’aient été formées et subsistant lorsque toutes auront disparu” (Haffkine).
 
Unité de l’Histoire
 
Le judaïsme enseigne que ce D-ieu est l’équitable et omnipotent, Maître de l’univers. Dans le polythéisme il était pratiquement impossible d’aboutir à “la conception d’une seule Providence gouvernant le monde par des lois établies ; la multitude des divinités suggère la possibilité de discorde dans le cosmos divin et fait pénétrer le sens du capricieux et de l’incalculable dans le monde invisible” (Farnell). Il n’en est pas de même pour le judaïsme avec sa foi passionnée dans un juge de toute la terre, qui peut et qui veut faire justice.
 
Dès l’époque du second Temple, la notion de la Souveraineté de D-ieu était rattachée au Chema'. Nos Sages ordonnèrent que les mots “Écoute, Ô Israël, l’Éternel est notre D-ieu, l’Eternel est Un” soient immédiatement suivis de cette proclamation du triomphe final de la justice sur la terre : “Béni soit Son Nom dont le règne glorieux est pour toujours”. Le monothéisme juif souligne ainsi la suprématie sur le cours de l’histoire de la volonté de D-ieu pour l’équité. “L’Un gouvernera tout à une seule fin : le monde tel qu’il doit être” (Moore).
 
 
Le rabbin 'Haïm Harboun est l'auteur du livre “Les voyageurs juifs du 16e siècle” aux éditions Massoreth.

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