D’une génération à l’autre

La procession avance doucement, faisant son chemin à travers les rues du quartier. Au fur et à mesure qu'elle progresse, le nombre de participants s'agrandit...

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Debbie Shapiro

Posté sur 06.04.21

 

Motsé Chabath (à la fin de Chabath), un mariage particulièrement spécial a eu lieu dans notre quartier : le mariage entre la Tora et le peuple juif.

 
Avez-vous déjà assisté à un “Hakhnassath sefer Tora” ? Un “Hakhnassath sefer Tora” est une cérémonie qu'on organise lorsqu'on accompagne un rouleau de la Tora – dont l'écriture vient d'être terminée – dans sa nouvelle maison : une synagogue. Il s'agit d'une cérémonie chargée de sentiments forts et pendant laquelle nos émotions sont le plus souvent visibles. De fait, même si cette cérémonie est assez fréquente – ici dans la ville sainte de Jérusalem – je ne peux pas m'empêcher d'avoir chaque fois la larme à l'oeil.
 
Pour ceux – et celles – qui n'ont jamais eu le privilège d'assister à un Hakhnassath sefer Tora, permettez-moi de décrire brièvement cette cérémonie. Avant que le sefer Tora ne soit physiquement transporté à la synagogue, les membres de la congrégation – ainsi que toutes celles qui désirent se joindre à la fête – se rassemblent dans une maison dans le but d'écrire les dernières lettres du sefer Tora. Cela se fait évidemment sous la supervision du sofer (expert en écriture) qui a rédigé le sefer Tora.
 
Pour écrire une lettre, chaque personne prend son tour; avoir pris part à l'écriture d'un sefer Tora représente une expérience que l'on n'oublie généralement pas pour le restant de sa vie. Pendant l'écriture des dernières lettres, les enfants du quartier se rassemblent – dans la rue – devant la maison où les parents sont actifs (cela est souvent la maison du rav de la congrégation, du quartier). 
 
Les enfants se mettent les uns derrière les autres, chacun tenant une torche. En même temps, une “camionnette-musique” projette ses flashs et lumières tournantes disposés à peu près partout où il est possible d'en fixer: sur le toit, sur le devant de la camionnette, sur l'arrière, etc. Le plus souvent, une immense pancarte domine les lumières ; sur cette pancarte, on lit généralement : “Tnou kavod leTora” (“Montrez du respect pour la Tora”).
 
Au fur à mesure que le conducteur de la camionnette augmente le volume des décibels, l'excitation des jeunes – et des moins jeunes – augmente en rapport. Quelques minutes avant que le sefer Tora quitte la maison, la musique devient encore plus entraînante. À cet instant, toutes les torches sont allumées et les enfants commencent leur procession, dans une gentille panique. Derrière eux, le camion suit doucement.
 
Entre les enfants et le camion, la pièce centrale de la soirée : le sefer Tora. Tenu fièrement – à tour de rôle – par les membres de la congrégation, le sefer Tora s'offre une escorte d'hommes qui affichent une joie qu'il sera rare de voir un autre jour de l'année. Tous dansent, chantent et la joie se fait rapidement contagieuse.
 
La procession avance doucement, faisant son chemin à travers les rues du quartier. Au fur et à mesure qu'elle progresse, le nombre de participants s'agrandit. De jeunes mères – avec leur escorte de poussettes – suivent leurs plus grands enfants qui tiennent une torche, en s'assurant que tout se passe dans la plus grande sécurité. Les mères plus âgées suivent un peu plus loin, à la traîne. Les hommes sortent de leur magasin, de leur appartement. Certains se joignent à la procession pour quelques minutes, tandis que d'autres accompagnent la “mariée” jusqu'à sa résidence : la synagogue du quartier.
 
Avant d'entrer dans la synagogue, tous les membres de la congrégation ont pris soin de porter le sefer Tora, même si cela n'a duré que quelques secondes. Lorsqu'on se trouve devant la synagogue, tous les sefer Tora de celle-ci sont sortis, pour accueillir le nouveau rouleau de la Tora. Parmi toutes les personnes présentes, la joie explose et les danses et chants semblent ne plus devoir s'arrêter. Pourtant, tous entrent dans la synagogue… afin d'y poursuivre leur marque d'affection envers la mariée.
 
Souvenirs
 
Certaines cérémonies incluent une file interminable d'enfants. Tous portent leur torche comme un symbole de leur fierté d'être présents. À leur vue, je ne peux m'empêcher de sentir mes premières larmes monter. D'autres cérémonies sont plus discrètes, ayant seulement quelques dizaines d'enfants et un petit groupe d'hommes qui dansent. Dans tous les cas, chaque Hakhnassath sefer Tora possède son caractère unique, inoubliable.
 
Il y a quelques années – lorsque mon quartier était encore très petit – je me souviens d'une Hakhnassath sefer Tora qui croisa un bus qui venait en sens inverse. La rue était trop étroite pour laisser passer le défilé et l'autobus en même temps. Le chauffeur baissa la vitre de l'autobus et demanda à tout le monde de lui laisser le passage. Je ne suis pas certaine qu'il y ait eu une seule personne qui l'ai entendu ! En voyant que ses efforts seraient vains, le chauffeur ouvra la porte de l'autobus pour laisser descendre tous les passagers.
 
Dès l'instant où les portes de l'autobus s'ouvrirent, plusieurs hommes qui faisaient partie de la procession en profitèrent pour y pénétrer. Parmi eux, se trouvait celui qui portait le sefer Tora. Tous commencèrent à danser joyeusement dans le bus et – sans l'avoir prévu – le conducteur irrité se trouva à porter le sefer Tora !
 
Un immense sourire apparu immédiatement sur son visage et – sans lâcher le rouleau de la Tora – il descendit de l'autobus pour rejoindre la procession. Laissant le bus derrière lui – et les quelques passagers qui étaient encore assis, abasourdis – le conducteur continua à danser avec les autres participants et entra avec eux dans la synagogue !   
 
Il y a quelques années, un couple d'amis donna un sefer Tora à leur synagogue qui se trouve dans mon quartier. Les dernières lettres écrites dans le rouleau le furent dans leur maison. Le mari – qui était un ami du mien et qui n'est plus de ce monde aujourd'hui – était déjà très malade lors de la Hakhnassath sefer Tora. De fait, il ne marchait presque plus et se déplaçait le plus souvent dans un fauteuil roulant.
 
Cependant, le soir de la Hakhnassath sefer Tora, toutes les personnes présentes assistèrent à quelque chose de surprenant : tenant fièrement le sefer Tora dans ses bras, le vieux monsieur put descendre les escaliers de sa maison pour rejoindre la 'houpa – à l'extérieur – qui attendait son invité d'honneur. Le vieux monsieur esquissa même quelques pas de danse avant de retourner s'asseoir dans son fauteuil roulant. Un vrai miracle ! Plus tard, on l'entendit dire qu'il s'était senti littéralement porté par des ailes de joie, malgré son état de santé particulièrement faible.
 
Un couple d'amis vraiment spécial
 
La semaine dernière – à Motsé Chabath (la fin de Chabath) – un sefer Tora fut amené à sa nouvelle résidence. Ce sefer Tora fut écrit en mémoire d'anciens voisins : Nathan et Faiguie Fruchtman. Lorsque je m'installai dans mon nouveau quartier – il y a de cela plus de vingt-cinq ans – les Fruchtman était un couple âgé d'environ soixante-cinq ans.
 
Cela était unique dans un quartier qui était composé presque exclusivement de jeunes couples, avec un ou deux enfants (à cette époque, j'avais deux garçons – âgés de 5 et 7 ans – qui étaient sans doute les plus âgés du quartier et ils devaient prendre le bus de la ville pour aller à l'école la plus proche !).
 
Mon mari et moi avons immédiatement considéré les Fruchtman comme nos parents de substitution et ils nous “adoptèrent” rapidement comme leurs propres enfants. De fait, mon mari et moi étions très occupés à nous installer en Eretz Israël. Nos enfants avaient besoin d'aller s'amuser dans le parc public, mais nous dépensions beaucoup d'énergie à trouver notre propre chemin – pour l'étude, pour le travail, contre les problèmes administratifs… – pour les y amener régulièrement.
 
Les Fruchtman furent d'une aide précieuse. À chaque problème qui surgissait, je courai chez eux : la compagnie de gaz ne voulait plus nous livrer ? Monsieur Frutchman les contactait en leur expliquant que si nous n'avions pas payé la dernière facture, c'est que nous ne comprenions pas assez l'hébreu ! Le service de voirie délaissait l'entretien des trottoirs et je m'inquiétais pour la sécurité de mes enfants ? Madame Frutchman se munissait de son balai et… nettoyait le trottoir ! Je me plaignais qu'aucun cours ne fut donné en anglais (la langue que je comprenais le mieux) ? Madame Frutchman invitait des personnes qui assuraient des cours de Tora en anglais !
 
C'est monsieur Fruchtman qui trouvait les sources de financement pour payer les factures de la synagogue, pour organiser les services religieux pour Roch Hachana et Yom Kipour. C'est même monsieur Fruchtman qui organisa l'ouverture de la première petite épicerie dans notre quartier afin que n'ayons plus besoin de nous rendre en ville pour acheter le pain et le lait.
 
Avec leur grande expérience, les Fruchtman ont étaient une aide irremplaçable pour nous apprendre à survivre – littéralement – dans un pays dont les moeurs étaient bien différents de celui d'où nous venions. Plus tard, lorsque nous devînmes de véritables adultes, nous fûmes capables de débrouiller de nous-mêmes. Cependant, en cas de besoin, les Fruchtman étaient toujours présents pour nous aider.
 
D'une génération à l'autre
 
Pour les “anciens” du quartier, le Hakhnassath sefer Tora de ce motsé Chabath eut un goût aigre-doux. Les jeunes enfants portaient les torches, comme toujours. Ils représentaient notre futur, la continuation de la nation juive, la tradition. Je ressentais une impression de fin, de conclusion. Les enfants qui portaient les torches n'étaient plus de l'âge de mes enfants, mais de mes petits-enfants. Je ne fais plus partie des jeunes couples et je ne cherche plus de parents de substitution afin de me guider, de me conseiller.
 
Les Fruchtman ne sont plus parmi nous et c'est mon tour de faire partie des anciens, de ceux qui sont censés posséder une fontaine de sagesse à offrir. Les jeunes couples attendent de nous que nous les aidions, les guidions. Que la vie passe vite ! Baroukh Hachem, j'ai eu d'excellents modèles pour m'aider à les imiter et à remplir le rôle que mon entourage attend de me voir jouer.
 
Il y a de nombreuses années, j'avais amené mon fils faire les courses dans le quartier de Mea Che'arim (un quartier historique et religieux de Jérusalem). Tandis que nous sortions d'un magasin, nous nous trouvâmes en plein milieu d'un immense Hakhnassath sefer Tora. La musique retentissait, les rues étaient remplies de 'hassidim exubérants et la joie était contagieuse. Mon fils me regarda et me demanda d'un ton innocent: “Ima (maman), est-ce que Machia'h (le Messie) arrive ? Avons-nous commencé à construire le Beith HaMiqdach (le Temple) ?”
 
Cette question était tellement innocente et pourtant… tellement remplie de vérité ! Oui, nous avons commencé à construire le Beith HaMiqdach ! C'est avec nos mitswoth, nos prières et notre étude que nous le construisons. Il est de la responsabilité de chaque génération de transmettre l'héritage de la Tora à ses enfants et à ses petits-enfants. Les Fruchtman ont transmis cet héritage à toute la communauté ; aujourd'hui, c'est au tour de la communauté à transmettre la Tora à nos enfants. Puissions-nous être à la hauteur de cette immense responsabilité.  

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