Une enfance lointaine

Je souffre, comme tous ses fils, de la voir végéter, mourir lentement, victime de l'oubli, de l'ingratitude et du déclin...

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Abou Mounia

Posté sur 06.04.21

"Ils sont nombreux les miracles de l'univers, Essaouira est mon miracle, ma merveille à moi.
 
J'ai connu des villes florissantes, des cités majestueuses aux tours défiants les cieux, le Nil et la muraille de Chine, les hautes montagnes et les vertes vallées, les larges fleuves et les forêts vierges, et pourtant la ville de Sidi Magdoul reste le miracle des miracles, même pour les gens indifférents aux merveilles du monde.
 
Je suis né dans cette ville, mariée étincelante dans sa maïda d'azur que veillent jalousement la cohorte blonde des dunes, l'armée des mimosas, les sveltes minarets vigiles et les vagues déferlants des horizons. 
 
J'y ai grandi, passant de la symphonie de ses brouillards ouatés et silencieux, à la sarabande de ses vents, enfants terribles et turbulents, suppléant généralement à la nonchalance d'éboueurs transis et dolents. 
 
Essaouira, Tassort, Mogador, rose des sables, fille de l'océan et du thuya, ville que nous – tes enfants – aimons pour ton automne transparent, ton hiver si doux, ton été capricieux et volage, ton printemps humide comme les cellules de ta triste et célèbre prison où tant des nôtres ont souffert et espéré. 
 
Essaouira, Tassort, Mogador, d'où tiens-tu le secret de tes féériques couchers du soleil, de ce ciel où se disputent des gerbes de lumière vertes, roses et violettes, émergeant de derrière de gros nuages gris – venus je ne sais d'où –  se mêlant au prodigieux faisceau des rayons du soleil déclinant, fondant dans son cortège irradiant ses dernières lumières, dans la magnificence de sa prodigieuse palette ?
Qui vous dévoilera les mystères de “Derb El Azara” (la rue des célibataires) dont les ténèbres nous glaçaient de terreur sous ses voûtes basses et noires ? Qui nous contera Boutouil, Sidi Bou Richa, Hammam Lalla Mira et Derb El Kharba ?
 
Qui ressuscitera les splendeurs de la skala ; du grand palais que le sable glouton avale inexorablement,… du Borj el Baroud qui s'affaisse peu à peu devant l'assaut des vagues, les beaux jours de l'île, sentinelle de la cité, les actions de Sidi Magdoul le saint patron de la ville, les regrets du village Diabet pleurant son grand pont de pierres que l'Oued Ksob, dans l'une de ses célèbres colères, a brisé et demantelé il y a bien des décennies de cela ?
 
Qui nous restituera la pudeur, l'exquise politesse et la modestie des souiris pourtant jaloux de leurs traditions, de leur spécificité, de leur art culinaire, de leur artisanat qui fait parler l'or et l'argent, chanter le thuya, le citronnier et l'ébène ?
Ceinte de monticules dorés, de remparts fauves et altiers, moutonnantes de dunes, voilée de légères brumes, baignée par l'océan qui l'enserre et l'étreint, toute humide d'embruns, Essaouira se rappelle, revit sa splendeur, ses souvenirs; riches caravanes, trafic intense, commerce florissant, obus de Joinville, passage de Foucault, séjour de diplomates venus d'Europe, haute silhouette de l'exilé Caïd Haddou, chef de la diplomatie rifaine, promenant de ruelle en ruelle, ses souffrances et sa nostalgie, colonie juive si studieuse, si vivante, si tolérante, fêtes échevelées de l'Achoura, ses “chrib ataye” où le rzoun est roi !
Essaouira, Tassort, Mogador, ville magique extraordinaire habit d'Arlequin dont chaque oripeau est une armoirie, chaque morceau une tribu : Ahl Agadir, Rahala, Chbanate, Jbala, Beni Antar, Derb El Alouj, Bouakher. Ce sont là des noms, ceux des quartiers de cette citadelle conçue par Sidi Mohammed Ben Abdellah, dessinée par Théodore Cornut bien en avance sur son époque.
 
Essaouira, ce sont ses souks : souk Ouakka, souk El Jdid, souk El Gzal, ses quartiers spécialisés, ces rues et ruelles aux noms étranges tout en échoppes bourrées jadis de tous les produits de la terre et de l'ingéniosité de l'homme. 
 
Essaouira ville sainte, ville soufie. Chaque “houma” a sa mosquée, sa zaouia ou sa confrérie.
 
Ont pignon sur rue et espace dans la place les Jilala, les Tijanis, les Naciris, les Regraguas, les Derkaouas, les Kettanis, les Ouazzanis, les Aissaoua, les Gnaoua… 
 
Je suis né dans cette ville. 
 
J'y ai grandi. 
 
Et je souffre, comme tous ses fils, de la voir végéter, mourir lentement, victime de l'oubli, de l'ingratitude et du déclin. 
 
Bientôt le centenaire. À quelle porte faut-il donc frapper pour la tirer de sa douce somnolence, de sa léthargie, pour l'aider à accéder au rang de cité vivante et prospère, digne de notre siècle, avec toutes ses caractéristiques et ses potentialités mises en valeur et développées par tous les apports de la modernité.

(Reproduit avec l'aimable autorisation 'Haïm Melca http://www.melca.info/ )

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