Ne pas mettre dans l’embarras – Devarim

“Je suis venu chez vous afin de faire une mitswa et grâce à D-ieu, je l'ai accomplie," répondit le Rav.

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le rabbin David Schallheim

Posté sur 20.07.23

Ne jamais mettre dans l’embarras !
“Ce sont là les paroles que Moché (Moïse) adressa à tout Israël en deçà du Jourdain, dans le désert, dans la plaine en face de Souf, entre Pharan et Tofel, Labân, Hacéroth et Di-Zahab.” (Deutéronome 1:1).
“Puisque ce sont des paroles de réprimandes et [que Moché] énumère là tous les lieux où ils ont irrité l’Omniprésent, il n’y pas de mention explicite de ces incidents [dans lesquels le peuple d’Israël ont transgressé] ; plutôt des allusions implicites [en mentionnant les noms des lieux] par respect pour Israël.” (Rachi, ad. Loc.)
Rachi explique de quelle manière Moché rappella aux enfants d’Israël leurs péchés, comme par exemple les péchés des espions et celui du veau d’or :
“Entre Pharan et Tofel et Labân…”
Rabbi Yo’hanan dit : nous avons revue la Bible entière, mais nous n’avons pas trouvé de lieux nommés Tofel ou Lavan ! Par conséquent, l’explication est la suivante : il les a réprimandé à cause des paroles absurdes (en hébreu : taflou) qu’ils ont dit au sujet de la manne qui était blanche (en hébreu : laban), en disant : “… et nous sommes excédés de ce misérable aliment” (Nombres 21:5), et à cause de ce qu’ils ont fait dans le désert de Pharan par l’intermédiaire des espions.
“Et Di-Zahab” (lit, suffisamment d’or) il les a réprimandé pour le veau d’or qu’ils ont créé du fait de l’abondance de leur or, comme il est dit : “C’est moi qui lui prodiguais cet argent et cet or, dont on se servait en l’honneur de Ba’al.” (Osée 2:10).
Même si le raisonnement de Rabbi Yo’hanan nous permet d’éclaircir l’origine de ces noms, son explication n’en recèle pas moins une contradiction apparente. Bien que Moché ait agi prudemment, au point d’utiliser des allusions cachées par respect du peuple d’Israël, il les a réprimandés explicitement plus tard pour ces péchés ! Il a mentionné le péché des espions (Ibid. 1:19-48) et celui du veau d’or (9:7-29) de manière détaillé et en y accordant beaucoup de temps !
Afin de répondre à cette difficulté, il faut étudier de près ce que dit Rachi : “Il énumère ici tous les lieux où le peuple d’Israël a irrité l’Omniprésent.” Moché commence sa réprimande avec une liste de tous les lieux où les enfants d’Israël ont irrité D-ieu ; afin de protéger leur honneur et ne pas les embarrasser, il a dissimulé les réprimandes dans un voile d’allusions. Cependant, lorsqu’il est revenu avec précision sur chaque péché, il s’est exprimé d’une façon explicite ; après tout, dans la mesure où la personne qui ne fait jamais d’erreur n’existe pas, leurs fautes ne devraient pas être une gêne pour eux s’il en fait mention d’une façon explicite. (Sifté ‘Hakhamim).
Qamtsa et Bar-Qamtsa
Du comportement de Moché Rabbénou, nous pouvons essayer de comprendre la façon dont nous devons nous comporter afin de ne pas blesser l’honneur d’une tierce personne, même si ce que nous avons a lui dire ne lui fera pas nécessairement plaisir. Évidemment, ceci est applicable pendant toute l’année, mais encore plus durant cette période proche de Tich’a be-Av.
Rabbi Yo’hanan pose la question suivante :
“Qu’elle est la signification du verset (Proverbes 28:14) : “Heureux l’homme constamment timoré ! Qui endurcit son coeur tombe dans le malheur.”
Rabbi Yo’hanan répond :
Le verset fait référence à l’histoire de Qamtsa et Bar-Qamtsa et qui eu comme conséquence la destruction de Jérusalem…
Il y avait un certain individu qui était l’ami de Qamtsa, mais qui était l’ennemi de Bar-Qamtsa. Il organisa un festin et dit à son serviteur : “Allez chercher Qamtsa pour mon festin” ; cependant, le serviteur ramena Bar-Qamtsa à la place.
Celui qui avait organisé le festin trouva Bar Qamtsa assit à sa table. Il lui dit : “Puisque tu es mon ennemi, que fais-tu là ? Lève-toi et va-t-en !”  
Bar-Qamtsa répondit : “Puisque je suis déjà ici, laisse-moi rester et je paierai pour le manger et la boisson.”
 
L’hôte lui répondit : “Non !”
  
“Dans ce cas, laisse-moi payer la moitié du coût du festin.”
 
“Non !”
 
“Laisse-moi payer la totalité du coût du festin !”
 
“Non !”
 
L’hôte saisi Bar-Qamtsa, le tira de sa chaise et le jeta à l’extérieur de la salle.
 
Bar-Qamtsa réfléchit : “Puisque les rabbins étaient présents, qu’ils ont vu toute la scène et qu’ils n’ont pas protesté, c’est évident qu’ils n’ont vu aucune objection à ma gêne ! Je vais à mon tour faire un festin : un festin de calomnies contre les juifs et que j’adresserai aux autorités romaines.”
 
Bar-Qamtsa se rendit chez César et déclara :”Les juifs se sont rebellés contre vous !”
 
César de répondre : “Qui l’a dit ?”
 
Bar-Qamtsa répondit : “Demande-leur d’offrir un sacrifice en ton nom et constate s’ils offrent.”
  
César ordonna à Bar-Qamtsa d’emmener un animal au Temple pour l’offrir comme sacrifice. Durant le voyage vers Jérusalem, Bar-Qamtsa mutila l’animal, le rendant ainsi inacceptable comme sacrifice. Selon certains, Bar-Qamtsa fit une plaie sur la lèvre supérieure de l’animal (afin de protester contre le silence des rabbins devant son humiliation) ; selon d’autres, il abima l’œil de l’animal (afin de protester contre le fait que les rabbins n’avaient rien vu de mal au comportement de Qamtsa). Dans tous les cas, cette imperfection causée à l’animal le disqualifia comme sacrifice au Beth HaMiqdach (Temple). D’autre part, selon les lois romaines qui concernaient les sacrifices, cela ne rendait pas l’animal invalide.
 
Les rabbins désiraient sacrifier l’animal afin de maintenir des relations de paix avec le gouvernement romain. Cependant, Rabbi Zacharie fils de Avkoulos objecta en disant : “Les gens vont dire ‘Les animaux avec des défauts peuvent être sacrifiés sur l’autel !'”
Les rabbins eurent l’idée de tuer Bar-Qamtsa pour qu’il ne puisse pas ainsi reporter l’incident à César. Mais Rabbi Zacharie fils de Avkoulos objecta : “Les gens vont dire : ‘Celui qui cause un défaut sur un sacrifice doit être tué !'”
 
Rabbi Yo’hanan dit : “La précaution excessive de Rabbi Zacharie fils de Avkoulos a détruit notre Temple, brûlé notre Palais et nous a exilé de notre terre.” 
 
A la fin du passage de la Guemara à propos de la destruction du Temple, il est noté la réflexion de Rabbi Eléazar : “Considérez la gravité d’insulter quelqu’un ; pour venir en aide à  Bar-Qamtsa, Hachem a détruit Sa Maison et brûlé Son Palais.” (Gittin 57a).
Le Beth HaMiqdach a été détruit parce qu’une personne méprisable a été encouragée par la gêne qu’elle avait ressentie à calomnier l’ensemble du peuple juif aux yeux de l’empereur romain. La honte d’une personne, même s’il s’agit de la personne la plus méprisable, pénètre le Ciel et c’est ce qui a causé la destruction du Beth HaMiqdach et l’incendie du Sanctuaire ! (Rabbi ‘Hayim Shmuelevitz, Si’hoth Moussar).
Deux types de réprimandes
Moché redit aux enfants d’Israël tout ce que l’Éternel lui avait ordonné à leur égard.” (Deutéronome 1:3).
Rabbi Zalman Sorotzkin relava une difficulté concernant ce verset. Le Deutéronome débute par ces mots : “Ce sont là les paroles que Moché adressa…” (ibid. 1). La Tora répète plus loin (ibid. 3) : “Moché redit aux enfants d’Israël tout ce que l’Éternel lui avait ordonné à leur égard.” Pour quelle raison Moché a-t-il eu le besoin de se répéter ?
Nous apprenons la réponse à cette question en nous servant d’un concept enseigné par Rabbi Aharon Wolkin en référence à un passage du Talmud : “Un érudit de la Tora est aimé par les habitants de sa ville, non pas grâce à ses bonnes qualités, mais plutôt, parce qu’il ne les réprimande pas au nom du Ciel.” (Qétouvoth 105b).
En étudiant cette Guemara, on pourrait croire que les habitants d’une ville aiment un érudit de la Tora parce qu’il ne les réprimande pas. Si cela était le cas, pour quelle raison le Talmud précise “réprimande au nom du Ciel” ? N’aurait-il pas suffit de dire “Il ne les réprimande pas” ?
De cette Guemara, Rabbi Wolkin explique qu’il existe deux sortes de personnes qui réprimandent les autres. Tout d’abord, il y a la personne qui prend toutes les précautions afin de ne pas irriter celle à qui elle s’adresse : elle parle dans la langue vernaculaire locale et soigne son style ; elle utilise des paraboles et des allusions afin d’éviter de mentionner exactement la raison de sa réprimande. Elle enrobe de sucre la pilule amère qu’elle désire faire avaler à la personne qui l’écoute.
Ensuite, il y a la personne qui parle d’une façon directe et d’une manière brusque. Les réprimandes qu’elles formulent sont faites dans un langage clair, en utilisant “les mots du Ciel”. L’exemple de ce type serait le prophète Isaïe qui se lamentait : “Malheur à une nation immorale, un peuple plein de méchanceté, qui a fauté, des enfants pervertis. Ils ont négligé Hachem ; ils ont provoqué le Saint d’Israël ; ils ont marché à reculons.” (Isaïe 1:4). Isaïe a mis en danger sa vie, et beaucoup l’ont détesté. Le sort de ce prophète fut d’être condamné à mort par le méchant roi Ménaché , comme cela est raconté dans la Guemara Yévamoth (49a).
Ce contraste explique le passage du Talmud à propos l’érudit en Tora qui est aimé. Il est aimé parce qu’il sait formuler sa réprimande, de manière acceptable par le public et pas à cause de ses bonnes qualités ou grâce au fait qu’il ne réprimande pas du tout. Il critique les gens de sa ville d’une manière douce, un ton agréable au lieu de les réprimander au nom du Ciel ! Si l’on vit dans une génération qui n’est pas prête à accepter les critiques, c’est sans doute la seule manière de réprimander !
Le bon moment et le bon endroit
Ce concept nous permet de comprendre les deux versets du début du livre du Deutéronome. Cependant, examinons tout d’abord le Midrach qui semble énigmatique :
“Lorsqu’Hachem dit à Moché de revoir la Tora en entier [dans les plaines de Moab], il ne voulait pas réprimander les enfants d’Israël pour leurs mauvaises actions. Selon Rabbi Simon on peut comparer cela à un disciple qui marche avec son Rabbi et qui voit un morceau de charbon ardent qui a été jeté sur le côté de la rue. Pensant qu’il s’agit d’une pierre précieuse, il le ramasse et… se brûle. Quelques jours plus tard, le même disciple se promène de nouveau avec son Rabbi et il voit… une véritable pierre sur le bord du chemin. Supposant qu’il s’agissait d’un morceau de charbon ardent, il eut peur de le toucher. Son Rabbi lui dit : ‘Prends-le ! Cela est une pierre précieuse.’”
“Ainsi, Moché dit : ‘Parce que j’ai dit, “Ecoutez, vous les rebelles…” J’ai été puni. Devrais-je les réprimander maintenant ?!”
“Hachem lui répondit : ‘Moché, n’est pas peur !’ (Midrach Rabba 1:6).
Le Midrach explique qu’au début Moché était réticent à l’idée de réprimander d’une façon directe les enfants d’Israël. Il avait déjà été brûlé auparavant, lorsqu’il avait frappé le rocher pour en faire couler de l’eau. Moché avait dit au peuple : “Or, écoutez, ô rebelles ! Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir de l’eau pour vous ?” (Nombres 20:10). A cause de cet incident, D-ieu décréta que Moché n’entrerait pas en Terre d’Israël.
Ayant été brûlé une fois déjà, il était évidemment réticent à l’idée de réprimander le peuple une nouvelle fois. Moché commença ainsi sa réprimande dans un langage plein d’allusions : “Dans le désert, dans la plaine opposé à la mer rouge, entre Paran et Tofel et Lavan et Hazeroth et Di Zahav.”
Hachem lui dit alors : “Laisse tes sentiments s’exprimer d’une façon franche et directe.” Ceci était la dernière chance avant sa mort, et la situation garantissait qu’il devait prévenir le peuple d’Israël aussi fortement que possible de respecter les commandements de la Tora lorsqu’il entrerait en Terre d’Israël.
C’est alors, que Moché commença à dire : “…tout ce que l’Éternel lui avait ordonné à son égard.” (Deut. 1:3) ; ceci correspond à un type classique de “paroles du Ciel”, c’est à dire de réprimandes. Les versets suivants ne montre aucune hésitation ou allusion voilée de la part du leader des juifs : “Mais vous refusâtes d’y monter, désobéissant ainsi à la voix de l’Éternel, votre D-ieu.” (ibid. 26) ; “Je vous le redis, mais vous n’en tîntes pas compte ; vous désobéîtes à la paroles du Seigneur et vous eûtes la témérité de vous avancer sur la montagne.” (ibid. 43) [Rabbi Zalman Sorotzkin, Ozna’im L’Torah]
Cependant, notre génération est différente et elle ne saurait accepter les réprimandes directes. Par conséquent, la seule possibilité consiste à réprimander à la façon de “l’érudit aimé” et non du prophète fougueux !
Le silence est d’or
Le Rav Yisraël de Vizhnitz nous a appris de quelle façon il est possible, est préférable, de faire un reproche doux, de manière discrète, en utilisant la ruse.
Le Rav rendit visite un jour à un banquier très riche dans son splendide château. Lorsque le maître d’hôtel ouvrit la porte, le Rav entra et s’assit, sans prononcer un mot. Le banquier resta debout sur le côté, craintif d’interrompre le silence du Rav. Après un moment, le Rav se leva et quitta la demeure du banquier. Le banquier accompagna silencieusement le Rav chez lui.
Mourant de curiosité, le riche banquier demanda au Rav de lui dire la raison de sa visite silencieuse.
“Je suis venu chez vous afin de faire une mitswa et grâce à D-ieu, je l’ai accomplie,” répondit le Rav.
“Quelle mitswa avez-vous accomplir en me rendant visite ?” demanda le banquier.
“Nos Sages nous enseignent que s’il est une mitswa de dire quelque chose qui peut être entendue, c’est également une mitswa de ne pas dire quelque chose qui ne peut pas être entendu” répondit le Rav. “Si j’étais resté chez moi et vous chez vous, quelle mitswa aurais-je de ne pas dire ce qui ne peut pas être entendu ? Par conséquent, je suis venu chez vous dans le but de ne pas dire ce que vous ne pourriez pas entendre !”
Les propos du Rav Yisraël de Vizhnitz avaient attisé encore plus la curiosité de  l’homme riche qui désirait savoir ce que le Rav désirait lui dire ; cependant, celui-ci refusait de lui dire, lui expliquant qu’il ne serait pas capable de l’entendre.
Le banquier persista et finalement le Rav accepta de lui dire ce qu’il n’était pas être capable d’entendre. Il lui dit : “Il y a une pauvre veuve qui n’arrive pas à payer son hypothèque et votre banque va saisir sa maison et l’expulser. Je voulais vous demander d’effacer la dette de cette pauvre femme.”
“Mais que puis-je faire ? Je suis seulement le manager, ce n’est pas ma banque ! Je ne peux pas effacer cette dette !” essaya d’expliquer le banquier.
“C’est ce que je voulais dire,” interrompit le Rav, “c’est exactement ce à quoi je faisais référence. C’est un problème que vous ne pouvez pas entendre !”
Arrivé sur le seuil de sa maison, le Rav entra chez lui et le banquier s’en retourna dans se belle demeure. Son cœur, cependant, ne lui laissa aucun répit et en fin de compte… il paya l’hypothèque de la veuve avec son propre argent !
Ceci est le succès d’une réprimande douce et plaisante !

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