Voir D-ieu – Réé

On sait combien il est difficile de s’abaisser devant quelqu’un de plus important que soi : ceci n’engendre pas la joie. Mais pas devant le Créateur du monde...

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le Rav David Hanania Pinto

Posté sur 06.04.21

Le rattachement à la Tora et l’existence de Dieu 

Trois questions sur le premier verset de la sidrath Réé :
 
1) Pourquoi le verset utilise-t-il le verbe “noten”, “Je vous donne la Tora” ? Il aurait dû dire tout simplement : “Si vous recevez la Tora”, vous serez bénis…”
 
2) Pourquoi les deux termes bénédiction et malédiction sont-ils juxtaposés ? Les enfants d’Israël étaient tous Tsadiqim à l’époque et dignes seulement de la bénédiction. Pourquoi alors cet avertissement comportant la malédiction ?
 
3) Qu’entend-on exactement par “Réé” ?
 
Comme nous le savons, la création visait essentiellement l’étude de la Tora, sans laquelle le ciel et la terre n’auraient pas été créés (Pessa’him 68b), comme il est écrit : “Si mon pacte (l’étude de la Tora) le jour et la nuit ne subsistait pas, je cesserais de fixer des lois au ciel et à la terre” (Jérémie 33:25). C’est avec la Tora que D-ieu a créé le monde… Le rôle de l’homme consiste donc essentiellement à fixer et réfléchir sur la créature et y ressentir la force de la Tora. Il finira ainsi par se rattacher automatiquement à D-ieu. D’immenses efforts sont requis pour accéder à ce niveau ; il faut surmonter d’innombrables épreuves pour en arriver à la conclusion que la Tora se trouve dans tous les détails de la création, et que c’est elle qui a tout façonné ici-bas.
 
Ceci ressemble à l’impact que laisse le soleil sur l’endroit qu’il chauffe : cet endroit reste chaud même après la disparition du soleil. L’endroit qui était humide et mouillé a été asséché et quand on le touche on ressent l’impact que le soleil y a laissé. Cet impact que D-ieu a laissé dans la création, il convient de le ressentir dans le domaine de la Tora aussi : en s’engageant sérieusement dans son étude. Ce qu’il faut essentiellement viser dans l’étude de la Tora, c’est “réé”, voir le Saint, béni soit-Il, en tout lieu et en toute circonstance. On se rattache alors à Lui. S’Il a donné aux enfants d’Israël la Tora en cadeau, comme il est écrit: du désert à Matana (cadeau) et de Matana à Na’haliel (Nombres 21:19), c’est pour qu’ils accèdent à l’objectif principal de la vie, ressentir l’impact puissant de Dieu dans la création du monde, grâce à la Tora.
 
La bénédiction divine consiste à percevoir l’Éternel, à prendre conscience du cadeau (la Tora) qu’Il nous a offert, de se souvenir du “Anokhi ” (“Je”) qu’Il a prononcé sur le Mont Sinaï regard de l’Éternel jeté sur la Création… Nous le verrons ainsi partout et nous nous attacherons à Lui. Autrement, c’est une malédiction pour nous, à D-ieu ne plaise. De fait, à quoi sert de s’engager dans l’étude de la Tora, si nous ne Le voyons pas partout… Les mots “réé” (“vois”) et “raz” (“secret”) ont la même valeur numérique : 206 + 1) ; ceci nous enseigne que celui qui s’attache à la Tora de toutes ses forces, on lui en révèle les secrets (Zohar II, 99a) : n’est-ce pas là la plus grande bénédiction ? Il finit même par voir le visage de D-ieu, comme il est écrit : “Trois fois par an, tous les mâles paraîtront par devant le Souverain, l’Éternel” (Éxode 23:17).
 
Le verset ne dit pas : “Trois fois par an, tu monteras à la Maison de D-ieu” ; monter sans rien ressentir n’aboutit à rien. Il faut donc que ce pèlerinage conduise l’homme à voir partout l’existence et l’œuvre du Saint, béni soit-Il. On vient voir et on se fait aussi voir (‘Haguiga 2a) : la vue du Saint Temple et celle de la Chékhina sur le Mont sacré, raffermit alors le culte divin.
 
On sait combien il est difficile de s’abaisser devant quelqu’un de plus important que soi : ceci n’engendre pas la joie. Il n’en est pas de même devant le Créateur du monde, devant qui on s’efface volontiers en échangeant ses plaisirs et passions contre la joie de servir D-ieu. On accède à la joie en faisant preuve d’humilité, l'aspect de “‘eqev” (“talon”). Les paroles de Tora se font bien entendre, imprègnent le cœur de celui qui les étudie et le remplissent d’une joie immense. Sa récompense : il voit le Saint, béni soit-Il, en tout lieu et en toute circonstance… Ce n’est malheureusement pas le cas de nos jours où il est tellement difficile de percevoir la vérité.
 
À l’avènement du Machia’h, enseignent nos Sages (Sota 49b), la vérité sera absente ; on ne pourra pas la distinguer du mensonge et toutes sortes de faux prophètes troubleront l’esprit des gens. Même les grands d’Israël tomberont dans les filets de ces voyants qui n’ont aucune notion de la vérité.
 
On ne peut échapper à cet état de fait qu’en recherchant la Tora de vérité, comme il est écrit : “Tu donneras la vérité à Jacob” (Michée 7:20). Nous devons absolument prendre conscience du fait que tant que nous vivons nous pouvons changer, en bien ou en mal, à D-ieu ne plaise. Même en Ses saints, Il n’a pas confiance ! (Job 15:15). “N’aie pas confiance en toi-même jusqu’au jour de ta mort” nous avertit Rabban Gamliel (Avot 2:5). N’oublions pas le cas du grand Pontife Rabbi Yo’hanan qui est devenu saducéen après avoir servi dans ses hautes fonctions durant quatre-vingts ans (Bérakhoth 29a). Mais quand on disparaît de ce monde, on revêt l’aspect de “emeth” (“vérité”) qui a la même valeur numérique (440 + 1) que le mot “meth” (“la mort”) car on ne peut plus changer.
 
Pour accéder à la vérité, on doit se tuer dans la tente de la Tora (cf. Nombres 19:14 ; Bérakhoth 63b ; Chabath 83b ; Zohar II, 158b). “La vérité va germer du sein de la terre” (Psaumes 85:12). Elle croît à mesure qu’on s’y soumet et améliore sa conduite. On finit alors par vraiment voir la Divinité. Au cas inverse, même la Tora qu’on étudie constitue un joug et une malédiction, car on ne manifeste pas le désir de se rapprocher de D-ieu. Rappelons-nous à ce propos le cas d’Elicha’ ben Avouya qui, malgré sa grandeur en Tora, a renié sa foi du fait qu’il lisait aussi des livres athées (‘Haguiga 15b). Dans notre contexte, il n’a pas accédé à l’objectif de la vie, et au lieu d’une bénédiction, sa fin a été une vraie malédiction.
 
Citons aussi le cas de Guéhazi, serviteur d’Élyahou, qui était un érudit en Tora, a pris à Na’aman, chef des armées d’Aran, deux kikars d’argent et deux sacoches avec des vêtements de rechange (Rois II, 5:23), en dépit du refus de son maître, profanant ainsi le nom de D-ieu. Elicha’ se mit en colère contre lui et l’insulta : “La lèpre de Na’aman s’attachera à toi et à ta postérité à jamais” (id. 27). Dans notre contexte, ayant eu une vue (“réé”) déficiente et s’étant abstenu de se soumettre (“‘éqev”) à son maître, il s’est complètement perverti à cause de son orgueil et de sa cupidité.
 
Commentant le verset : “Cette fois, je rends grâce à l’Éternel ! C’est pourquoi elle le nomma Juda” (Genèse 29:35) prononcé par Léa après la naissance de son quatrième fils, nos Sages font remarquer qu’elle était la première personne qui ait exprimé sa gratitude à l’Éternel depuis la Création du monde (Bérakhoth 7b). Pourquoi ne L’a-t-elle pas remercié après la naissance de Réouven, Chim'on ou Lévi ?
 
Si les yeux de Léa étaient ternes (Genèse 29:17), c’est qu’elle se soumettait constamment à D-ieu, et si Ra’hel lui a transmis les signes (Méguila 13b), c’est parce qu’elle était consciente de la grandeur de Léa, qui était digne de se marier avec notre patriarche Jacob. C’est parce qu’elle a toujours exploité sa vue pour accéder à la vérité. Sa vue spirituelle était tellement grande qu’elle avait prévu l’épisode de Juda avec Tamar (Sota 7b). Elle a rendu grâce à l’Éternel pour son fils le Tsadiq qui n’a pas éprouvé de honte à avouer (Yéhouda vient du mot “hodaa” qui veut dire remercier et aussi reconnaître) sa faute. Ceci était très difficile pour un homme de son rang. En dépit du fait qu’il était roi, il était conscient de l’humiliation engendrée par son aveu, au lieu de chercher des excuses, il n’a eu en vue que la vérité et avoué sa faute sans la moindre hésitation.
 
C’est ce même trait que nous trouvons chez le Roi David qui voyait partout l’existence de D-ieu, comme il est écrit : “Je fixe constamment mes regards sur le Seigneur” (Psaumes 16:8). C’est ce qui lui a permis de se représenter toujours ses péchés devant lui. “Mon péché est sans cesse devant moi” (id. 51:4) n’hésite-t-il pas à avouer. Comme il veillait sans cesse à corriger ses fautes dont il en avait sincèrement honte, et qu’il se considérait plutôt comme un serviteur de D-ieu qu’un roi et s’effaçait devant Lui, il a accédé à la joie dans l’étude de la Tora, comme il est écrit : “David dansait de toutes ses forces devant l’Éternel” (Samuel II, 6:14).
 
En dépit de ses connaissances extrêmement vastes en Tora, David s’est toute sa vie soumis à l’Éternel et humilié devant Lui. Nous avons déjà vu que la nuit où il a fui le Roi Chaoul, il a appris du prophète Elie ce que le Sage le plus érudit apprend en cent ans. Lui, le Roi d’Israël, qui n’avait appris d’A’hitophel que deux lois, l’a appelé son maître, son conseiller et son ami (Avoth 6:3), comme il est écrit : “Mais c’est toi, en tout mon pareil, mon ami et mon confident” (Psaumes 55:14). S’il a agi de la sorte, c’est essentiellement pour accroître la valeur de la Tora aux yeux des Juifs de sa génération, qui étaient vaincus dans les batailles qu’ils livraient à leurs ennemis car ils médisaient l’un de l’autre (Vayiqra Rabba 26:2). Il les incitait à s’engager dans l’étude de la Tora plutôt que de médire l’un de l’autre. Comme il ne prenait pas égard à son honneur personnel, c’est lui qui fera la bénédiction sur la coupe de vin dans l’avenir.
 
Avraham n’en sera pas digne, car il a engendré Yichmaël ; Yits’haq n’en sera pas non plus digne, car il a engendré Essav ; Ya’aqov non plus du fait qu’il a épousé deux sœurs, ce que la Tora interdira par la suite (Lévitique 18:18 ; Qidouchine 50b). Moïse n’en sera pas non plus digne parce qu’il n’a pas eu le mérite d’entrer en Terre Sainte (cf. Deutéronome 50b). Comme il n’a pas eu de fils, Yéhochoua’ ben Noun enfin, ne sera pas non plus digne de réciter la bénédiction sur le vin. Seul, le Roi David lèvera la coupe du salut et proclamera le nom de l’Éternel (Psaumes 116:13 ; Pessa’him 119b).
 
Nous voyons aussi l’humilité du Roi David dans le fait qu’il suivait volontiers les railleurs de la génération qui l’invitaient à s’engager avec eux dans l’étude de la Tora, et leur montrait un visage souriant. “Je suis dans la joie quand on me dit : 'Nous irons dans la maison de l’Éternel'” (Psaumes 122:1). La Guémara interprète différemment ce verset: Les mécréants se moquaient de David : “Quand ce vieillard mourra-t-il”, se disaient-ils, “pour laisser la place à son fils Salomon qui construira le Saint Temple où nous irons en pèlerinage” (Makoth 10a). Comme il en a éprouvé de la joie, l’Éternel lui dit : “Assurément, un jour dans tes parvis vaut mieux que milles [autres]” (Psaumes 84:11) ; ceci veut dire : “Je préfère un seul jour où tu t’engages dans l’étude de la Tora aux mille sacrifices que ton fils Salomon est destiné à offrir sur l’autel. La Tora de David était plus importante, car il était humble et voyait partout l’existence de D-ieu. Il a accédé à ces vertus parce qu’il se réjouissait de D-ieu et de Sa Tora, en se conformant à Sa volonté.
 
“Nombreux sont mes persécuteurs et mes ennemis; je n’ai point dévié de Tes statuts” (Psaumes 119:157) avouait David. Ses ennemis n’ont pas réussi à lui faire entretenir le moindre doute sur l’omniprésence de D-ieu, bien au contraire : en toute chose, il voyait Sa gloire et était parfaitement convaincu que tout vient de Lui. C’est ainsi qu’il n’a pas laissé Avichaï, fils de Sérouya, son maître, tuer Chim’i, fils de Guéra, qui l’accablait d’injures. “S’il insulte ainsi”, lui expliqua-t-il, “c’est que D-ieu lui a inspiré d’insulter David” (cf.
Samuel II, chap. 16).
 
C’est essentiellement par le concept de vue que le Roi David en est arrivé à aimer la Tora, comme il est écrit : “Vois, comme j’aime Tes prescriptions” (Psaumes 119:159). C’est grâce à elle qu’il voyait partout l’existence de D-ieu. “J’ai observé les traîtres et j’en ai été écœuré, car ils ne respectent pas Ta parole” (id. 158), se plaint-il. C’est à cause de la déficience de leur vue que ces gens n’empruntent pas la voie divine. Et s’ils ne voient pas, contrairement au Roi David, ils ne peuvent pas se rattacher à Dieu et réfléchir à l’objectif de la vie.
 
Le pèlerinage au Saint Temple visait essentiellement la vue, celle de l’existence du Saint, béni soit-Il. “Lorsque je contemple Tes cieux, œuvre de Ta main” (Psaumes 8:4), “j’en arrive à T’exprimer ma gratitude. Que Tes œuvres sont grandes, ô Seigneur !” (id. 104:24). La vue lui a permis de discerner l’impact que l’Éternel a laissé dans la Tora et la Création.
 
Commentant le verset : “Des renouveaux chaque matin, infinie est Ta bienveillance” (Lamentations 3:23), le Ari zal, explique que toutes les nuits l’âme monte au Ciel où elle se renouvelle. Le matin, comme l’esprit de l’homme se renouvelle, la Providence Divine peut résider en lui, comme il est écrit : “Et ils me construiront un Sanctuaire pour que Je réside au milieu d’eux” (Éxode 25:8). Le verset ne dit pas : “au milieu de lui”, mais “au milieu d’eux” ; cela veut dire “au milieu de chaque juif”. Pourquoi alors dans ces circonstances ne fait-on pas une bénédiction : “Qui m’as créé juif” et lui préfère “Qui ne m’as pas créé gentil” ?
 
C’est que lorsque l’homme se réveille le matin et voit que l’âme est retournée dans son corps, il se demande : “qui suis-je pour avoir eu l’insigne honneur de m’attacher à D-ieu ?” Cet émerveillement devant la gloire et la splendeur de son Créateur peut lui coûter la vie tellement son attachement à Dieu est grand. Il procède alors par étapes. Au début, il exprime sa gratitude au Saint, béni soit-Il, de ne pas l’avoir créé esclave et non-juif. Par la suite, grâce à la Tora qu’il étudie, il prend conscience des bienfaits de D-ieu et est fermement convaincu que rien de mal ne lui arrivera. Il porte alors désormais le titre de fils de D-ieu comme il est écrit : “Vous êtes les enfants de l’Éternel, votre D-ieu” (Deutéronome 14:1). Il lui sied alors de dire : “Heureux sommes-nous ; heureux est notre lot de nous rendre matin et soir aux synagogues et maisons d’étude.
 
Heureux surtout que notre proximité à D-ieu ne nous ait pas coûté la vie ! Parlant des clochettes qui pendaient sur la robe du Grand Pontife, l’auteur de “Aryeh Chaag” explique que grâce à leur tintement, il ne mourait pas car il revenait à lui et se distançait de son grand attachement à D-ieu qui pouvait lui être fatal au moment où il servait dans le Saint des Saints. Tout juif est susceptible de subir ce sort, mais l’Éternel l’aide à continuer à vivre pour qu’il se rapproche davantage de Lui.
 
Y a-t-il donc une plus grande bénédiction pour le juif, qui constate l’omniprésence de D-ieu à chaque pas qu’il fait sur terre ?

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