Un ‘Hanouka alsacien animé

Ce fut au tour du président de s'énerver à un tel point qu'il menaça de quitter la synagogue pour marquer sa désapprobation face au comportement du rabbin.

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Alain Kahn

Posté sur 14.12.22

La vie était paisible à Oberbron, un village situé au nord de l’Alsace dans une région boisée et réputée pour ses sources thermales. Les juifs s’y sont installés depuis la première moitié du 18ième siècle et en 1784, juste avant la révolution française, la communauté représentait plus de cent personnes. Au milieu du 19ième siècle elle atteint son apogée avec un peu plus de 200 personnes et était représentative de ce judaïsme alsacien et rural qui se développait en harmonie avec l’ensemble de la population.

Depuis 1740, la communauté disposait d’un petit local communautaire ou “kahlstub” dans lequel les activités communautaires pouvaient se dérouler, en particulier les offices et l’enseignement. Un cimetière a été créé en 1790, également pour les juifs de Zinswiller, une commune voisine. C’est en 1841 que la communauté fit construire une synagogue digne de ce nom. Elle avait une forme carrée et comprenait trois belles et longues fenêtres sur chaque côté.
Le rabbin Samuel Hirsch était fier de cette réalisation et l’installation des cinq rouleaux de la loi donna lieu à une cérémonie d’inauguration empreinte de solennité et de ferveur. Le président de la communauté, Joseph Lévy, lui aussi était particulièrement satisfait de vivre cet événement et apprécia à sa juste valeur la mobilisation de toute la communauté pour l’occasion. La synagogue était bien remplie et dans ces conditions les discours et les prières prenaient tout de suite une autre dimension. La ferveur se lisait sur les visages des petits et des grands.
Le problème pour les responsables communautaires est précisément de remplir leur synagogue. Or, en dehors des grandes occasions, il faut reconnaître que ce n’est pas toujours facile. Alors, Joseph Lévy eut une idée pour attirer plus de monde à l’office qui était prévu pour la fête de ‘Hanouka, la fête des Lumières qui rappelle qu’au 2ième siècle avant l’ère actuelle, une fiole d’huile prévue pour un jour permit d’allumer les lumières du chandelier du Temple de Jérusalem pendant une semaine à l’époque des Hasmonéens.
Il s’était souvenu du peu de monde qui était venu les années précédentes et il ne voulait pas que la même situation se reproduise dans ce nouveau lieu. Il se dit que la tradition du “Haniguemaenel” (“le bonhomme de ‘Hanouka”), allait l’aider à atteindre son but.
Il demanda au chamach, au bedeau, de se déguiser en Haniguemaenel et ainsi de se vêtir d’une cape blanche et d’un bonnet pour accueillir les enfants en donnant aux uns des gâteaux ou des friandises, aux autres des fruits et des petits pains que les dames de la communauté avaient confectionnés. Le résultat fut bien convaincant puisque toutes les familles se mobilisèrent à nouveau, et que la synagogue bondée connut une effervescence à l’image de la fête des lumières qui y était célébrée !
On alluma la première bougie sur la grande ménora (lampe) placée devant l’armoire sainte et rarement le “Maoz Tsour”, le chant qui suit cet allumage, fut entonné avec tant de bonne humeur.
 
Le ton monte
Comme le calme ne revenait pas dans la synagogue, le rabbin se leva brusquement de son siège et interpella les fidèles. Il critiqua ouvertement l’initiative prise par le président, disant qu’il s’agit là de “G.N.”, de “Goyem Nachess“, de pratiques qui sont adoptées bien qu’elles émanent des non-juifs. Et comme ‘Hanouka tombe toujours à une période proche de Noël, il faisait évidemment allusion au “Saint Nicolas” qui distribue des cadeaux aux enfants sages début décembre selon la tradition chrétienne.
Il était rouge de colère lorsqu’il expliqua que l’ont faisait fausse route si l’on voulait imiter les autres traditions ; c’est ainsi qu’on oublie qu’on se trouve dans une synagogue et la prière perd ainsi toute sa valeur.
Ce fut au tour du président de s’énerver à un tel point qu’il menaça de quitter la synagogue pour marquer sa désapprobation face au comportement du rabbin. Certains fidèles l’approuvèrent, d’autres manifestèrent de la compréhension pour les propos du rabbin et quelques uns appelèrent les uns et les autre à retrouver leur calme. L’office fut interrompu et le vieux Chim’on, un ancien président particulièrement érudit, demanda au rabbin et au président de se réconcilier devant tout le monde. Il n’y avait pas de raison pour que les esprits s’échauffent ainsi.
 La tradition du  Haniguemaennel  était vivante et semblait être issue d’une tradition propre au judaïsme alsacien rural. Chim’on expliqua que depuis le moyen âge, des cadeaux étaient faits aux enfants sous la forme de  Haniguegueld, de la monnaie avec laquelle les enfants s’achetaient des friandises ou de petits jouets. Cette tradition avait ainsi peut-être subi les influences du lieu et pouvait très bien être appliquée différemment si cela pouvait contribuer à la bonne marche de la communauté. Il finit par mettre d’accord les deux protagonistes en leur faisant admettre que dorénavant l’office devait tout simplement avoir lieu avant la venue du bonhomme de ‘Hanouka !
Cette tradition perdura quelques temps à Oberbronn et la fête de ‘Hanouka était ainsi toujours très attendue au même titre que les fêtes joyeuses comme  Sim’hath Tora, la fête de la Tora, ou Pourim, la fête des Sorts en souvenir de l’histoire de la reine Esther. Mais la communauté d’Oberbronn allait subir le même sort que bien des petites communautés alsaciennes et il n’y eut bientôt plus de fête de ‘Hanouka du tout. En 1882 elle ne comptait plus qu’une centaine de personnes, une trentaine en 1910 et 5 en 1936.
L’attirance vers de plus grands centres comme Niederbronn, Haguenau ou Strasbourg fut la cause principale de ce phénomène et les effets de la première guerre mondiale l’accentuèrent.
L’histoire de cette communauté s’est arrêtée définitivement en 1944 lorsque les nazis ont détruit la synagogue qui avait été conservée en l’état jusque là.
Reproduit avec l’aimable autorisation de “Judaïsme d’Alsace et de Lorraine.”

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