Mon père : le fermier, le pompier

La petite ville dans laquelle nous vivions possédait sa brigade de pompiers. Mon père était fier d'en être le capitaine ! Je me souviens d'un certain jour où un immense incendie de forêt...

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Shlomo Brunell

Posté sur 06.04.21

Mon père avait une grande attirance pour l'exploitation forestière. Il s'agit d'une activité de grande importance en Finlande. De fait, c'est en se basant sur la valeur inestimable des forêts nombreuses du pays qu'on surnomme la Finlande le pays de “l'or vert. Ce pays possède non seulement des récoltes importantes et une industrie du bois florissante, mais la replantation des champs moissonnés – ainsi que la culture des jeunes plants des forêts de la prochaine génération – exige une connaissance pointue des les sciences agricoles. 

En dépit des tonnes des produits forestiers qui sont exportés chaque jour du pays, le volume total de la croissance des forêts augmente réellement. Ceci est dû principalement par le programme national obligatoire de replantation. Mon père m'enseigna tout cela en raison de l'amour qu'il avait pour la terre de son pays et de sa volonté d'en prendre soin. Mon père aimait la terre de son pays bien avant que le mouvement écologique – ainsi que les questions et problèmes liés à ce sujet – se trouve propulsé au premier plan de la scène politique.
 
La petite ville dans laquelle nous vivions possédait sa brigade de pompiers. Mon père était fier d'en être le capitaine ! Dans le milieu des pompiers, tout le monde accordait beaucoup d'importance à la préservation de la forêt. Pendant les quelques journées torrides de l'été, il arrivait que la foudre s'abatte sur une forêt, ce qui ne manquait pas de provoquer un début d'incendie.
 
Je me souviens d'un certain jour où un immense incendie de forêt menaça réellement notre village tout entier. Le feu fit rage pendant plusieurs jours et les pompiers avaient désespérément besoin d'eau : pour éteindre le feu, mais également pour combattre leur terrible soif.
 
Mon père était alors un jeune homme. Il se joignit à la horde d'hommes qui faisaient leur possible pour que tout le village ne disparaisse pas en cendres. Pendant plusieurs jours, il fut impossible de contenir le feu. Les filles d'une communauté voisine désirèrent partager l'effort commun de cette lutte sans merci. Elles amenèrent de l'eau aux pompiers assoiffés. Parmi ces jeunes personnes, se trouvait une fille plus jeune que les autres. Timide, elle semblait avoir à peine plus d'une dizaine d'années.
 
 
Elle portait avec elle un seau rempli d'eau et se dirigeait vers les pompiers qui semblaient en avoir le plus besoin. Elle aperçut un jeune pompier – à peine plus âgé qu'elle – qui avait manifestement un grand besoin d'eau. L'eau que cette jeune fille offrit fut magique. Plutôt que d'éteindre l'incendie, il fit démarrer un feu d'un autre type : celui de l'amour.
 
Cet homme – qui n'était autre que mon père – s'appelait Runar. Le nom de la jeune fille – qui serait ma mère – était Linnea. À peine deux années après ce terrible incendie, les deux se marièrent et fondèrent une superbe famille – ainsi qu'une ferme prospère – sur le même lot de terre où ils s'étaient rencontrés !
 
Mon père était un conteur sans pareille. Lorsque j'ai épousé ma femme, la réception de mariage eut lieu dans le jardin de notre maison familiale. Mon père nous ravit en nous racontant l'histoire de son amour naissant pour ma mère – de nombreuses années auparavant – à l'endroit même où il parlait ! Je me souviens encore de l'air amusé de ma mère en entendant mon père parler.
 
Ma mère était restée timide, mais toujours déterminée dans son amour pour mon père. Les réunions avec un large public ne l'enchantaient guère, contrairement à mon père. Jusqu'aujourd'hui, je ne sais pas à quelles occasions – ni devant quelles audiences – mon père s'entraînait à parler avec autant d'aisance. Offrait-il la primeur de ses discours à son troupeau de vaches dans les champs ou aux forêts de pins qu'il arpentait régulièrement ?
 
Je pense qu'être un leader faisait partie de sa personnalité. Dans son environnement habituel – qui incluait la communauté fermière, les organisations forestières et l'Église – il était presque toujours membre des conseils d'administration. Souvent, il en était le président. C'est peut être lors de ces réunions qu'il exerçait ses talents de beau parleur.
 
À sa façon, ma mère était également un membre actif des groupes de femmes auxquels elle participait. Quelquefois, je me demande si ma mère était réellement la femme timide qu'elle semblait être. Peut-être que c'est l'ombre naturelle de mon père qui nous la faisait percevoir de la sorte. Dans tous les cas, la relation qu'ils eurent au sein de leur couple fut exemplaire. Entre eux, je n'entendis jamais de disputes ou de voix qui hausse le ton. Étant né après la deuxième guerre mondiale, je n'ai pourtant pas été témoin des années les plus difficiles de leur vie.
 
Peu de temps après que mon père et ma mère eurent leur premier enfant – mon frère aîné – la deuxième guerre mondiale éclata. Comme la majorité des hommes finlandais, mon père dut servir dans l'armée pendant cinq. Pendant cinq longs hivers, il fit face aux troupes russes. La Finlande n'avait pas le choix de ne pas aller en guerre avec ses voisins. Cela ne s'explique pas par la sympathie qu'elle avait pour les allemands, mais plutôt que sa décision de ne pas faire la guerre aurait signifié son invasion par l'armée russe.
 
Quelques années plus tard – lorsque la guerre tirait à sa fin – la Finlande se battit contre les allemands lorsque ceux-ci essayèrent d'exploiter le territoire finlandais à leur avantage. Le résultat fut une guerre dévastatrice dans laquelle les nazis brûlèrent et détruisirent tout ce qui se trouvait sur leur chemin, tandis que les finlandais les chasser de leur pays.
 
Pendant la guerre, mon père était loin de la maison. Il n'y retournait qu'à de rares intervalles, et pour des périodes très courtes. Mon frère et ma sœur – Borje et Berit – naquirent avant la fin de la guerre. Les souvenirs les plus anciens que j'ai de mon enfance sont d'une période où tous mes frères et sœurs avaient déjà quitté la maison familiale. Mon plus jeune frère – Birger – est âgé de dix années de plus que moi.
 
Mon frère Borje – avec sa femme Saga – prirent la suite de mon père à la ferme. Mon frère développa celle-ci en une entreprise moderne et dont la production était hautement dépendante de la technologie. À leur tour, c'est leur fils – Daniel – qui hérita de la ferme. La passion de mon frère Borje était la musique. Il préférait même celle-ci à sa ferme !
 
À l'âge adulte, il étudia la musique afin d'obtenir un diplôme d'enseignement. Ensuite, il officia dans sa paroisse locale comme organiste et cantor. Cela dura quelques années, jusqu'à sa mort prématurée, à l'âge de cinquante-huit ans. Mon grand frère fut une personne très dévouée à sa foi et il était aimé de tous les membres de sa paroisse.
 
Berit épousa son amour d'adolescence – Bengt – et resta dans notre ville natale. Elle étudia la comptabilité et travailla à la banque de la ville, jusqu'à sa retraite. Je me souviens qu'à l'âge de l'enfance, nous attendions toujours la visite de Berit et de Bengt le dimanche après-midi. Étant la seule fille de ma mère, il existait une relation très forte entre les deux. Les visites hebdomadaires de ma sœur étaient très importantes pour ma mère. Jusqu'au jour de sa mort, ma sœur resta à ses côtés.
 
Je possède de vagues souvenirs de mon frère Birger, tandis qu'il vivait encore sous le toit familial. Cependant, notre différence d'âge était assez importante et je me suis toujours considéré un peu comme un enfant unique. Mon enfance fut privée de la rivalité habituelle entre frères et sœurs ; je n'avais personne contre qui me battre, pour le pire comme pour le meilleur.
 
À l'époque où Birger épousa Benita – qu'il avait rencontrée au lycée – la nouvelle mode pour les jeunes couples finlandais était d'aller vivre en Suède. Dans la région de la Finlande où nous vivions, une minorité de la population parle suédois. Même si les traces de la vie en Finlande de ma famille remontent au dix-septième siècle, notre langue maternelle était le suédois. Conséquemment, déménager en Suède ne fut pas une étape draconienne.
 
Quelques fois, les pays voisins offrent des avantages pour les personnes qui désirent s'y rendrent pour étudier ou pour y travailler. Connaître le suédois était donc un avantage certain. Je pense que pour Birger – comme pour moi-même – la connaissance du finlandais ne fut jamais un signe de notre appartenance à ce peuple. Birger et sa femme partirent s'installer à Uppsala. C'est là-bas que Birger y étudia la théologie et qu'il devint prêtre au sein de l'Église de Suède.
 
Aujourd'hui encore, il exerce avec un grand plaisir sa vocation. Birger est un prêtre aimé et respecté de son importante congrégation ; il fait également l'admiration de ses collègues au sein de sa communauté de travail.
 
En devenant adulte, je considérai le christianisme – et la vie paroissiale – comme un aspect important de ma vie. Je n'ai pas ressenti un besoin de me rebeller – comme le font souvent les adolescents et les jeunes adultes – contre mon style de vie. J'avais un besoin spirituel et mes années d'enfance et d'adolescence le remplirent sans aucune difficulté.
 
En 1973, j'obtins mon diplôme de fin d'études collégiales ; j'avais exactement vingt ans. Un jour avant la remise des diplômes, je me fiançai. Runa – ma future femme – et moi-même échangeâmes les bagues et nous nous firent la promesse mutuelle de nous marier ensemble. Nous nous étions rencontrés quelques années auparavant. Runa était membre du même chœur où je jouais dans la fanfare. Le chœur et la fanfare se rencontraient régulièrement afin de participer à différents spectacles à travers le pays.
 
Je me souviens encore de la première fois où je la vis et où je lui parlai. Ce soir-là, nous jouions dans une église ; pendant l'entracte, Runa sortit avec quelques amies pour prendre l'air. Lorsque je les rencontrai, mes yeux se posèrent sur elle. Je lui fis un salut de la tête et… elle rougit immédiatement ! Elle me dit quelques temps après qu'elle n'avait pas compris la raison pour laquelle elle avait été la seule que j'avais saluée.
 
Fêter mes fiançailles et la remise de mon diplôme en même temps fut une grande joie. Nous n'étions pas le seul couple à s'être rencontré au sein du cercle de nos amis. Le chœur, la fanfare et toutes les activités de notre église étaient un merveilleux moyen de trouver son âme sœur. Après mes études au collège, je les poursuivais à l'université. Le sujet qui me tendit les bras fut la théologie. Je me suis souvent dit que ma vie aurait été plus simple si j'avais étudié un autre sujet. Jamais je n'aurais pensé à me convertir !
 
Ma femme et mes filles ont pensé la même chose, particulièrement pendant les premières années difficiles qui suivirent notre départ de l'Église. Quelle peut être la valeur d'un diplôme en théologie dans un pays luthérien, lorsque vous quittez l'Église ? Des années plus tard – après avoir déménagé en Israël – je me pose toujours la même question. Pour quelle raison nous ai-je rendu la vie si difficile ?
 
Mes questions n'ont pas encore trouvé leurs réponses. Je n'ai jamais pensé m'être trompé dans mes choix, ni qu'ils ne correspondaient pas à un but ultime. Je continue à chercher les raisons de tout cela et je n'arrêterai pas ma recherche avant d'avoir trouvé les réponses satisfaisantes. Cette interrogation, je la dois à ma femme et à mes filles. Elles ont fait tellement plus que simplement appuyer mes décisions : elles ont choisi de rester avec moi, même pendant les années les plus difficiles.
 
À suivre…

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