Ne pas croire en soi – Yitro
La pensée même de croire qu’on n’a pas commis d’erreur est très condamnable. Cette ignorance même constitue un péché et témoigne de l’orgueil inhérent à l’homme.
Le Midrach (Bamidbar Raba 7:1) enseigne : “Rabbi Yéhochoua’ ben Lévi dit : 'À leur sortie d’Égypte, il y avait un certain nombre d’infirmes chez les enfants d’Israël. Leur infirmité était due au dur labeur de l’asservissement. Des pierres tombaient sur eux, et leur cassaient un bras ou leur coupait une jambe. “Ce n’est pas juste que Je donne Ma Tora (Bible) à des infirmes”, se dit le Saint, béni soit-Il. Que fit-Il ? Il fit signe aux anges qui descendirent et les guérirent.”
Commentant le verset : “Les égyptiens accablèrent les enfants d’Israël de rudes besognes” (Exode 1:13), le Talmud (Sota 11b) explique : “Ils les asservirent par un langage doux.” Ces deux paroles semblent à première vue contradictoires, et nous nous proposons ici de montrer qu’elles sont étroitement liées l’une à l’autre.
Rappelons à cet effet que lorsque Moïse vit deux hébreux se quereller, il demanda à l’un deux : “Pourquoi frappes-tu ton prochain?” Et cet homme répondit : “Penses-tu me tuer, comme tu as tué l’égyptien ?” Moise se dit alors : “Certainement, la chose est connue” (Exode 2:13-14). En d’autres termes, Moïse se dit : “Jusqu’à présent, j’ignorais pourquoi les enfants d’Israël sont asservis. Maintenant que je vois qu’ils médisent l’un de l’autre et calomnient, je comprends pourquoi ils sont persécutés plus que toute autre nation” (Chémoth Raba 1:30).
On peut donc dire que c’est à cause de la calomnie et de la médisance – que les enfants d’Israël ont héritées des égyptiens – qui a failli leur faire franchir le seuil de la cinquantième porte de l’impureté. Or on sait que la Tora comprend six cent-treize mitswoth : deux cent quarante-huit commandements positifs correspondant aux deux cent quarante-huit membres du corps, et trois cent soixante-cinq commandements négatifs, correspondant aux trois cent soixante-cinq tendons et jours de l’année (Makoth 23b).
Chacun des membres et tendons a un rapport avec une mitswa déterminée. Donc, quand les enfants d’Israël “se parlèrent avec fausseté, d’une langue mielleuse, d’un cœur plein de duplicité” (Psaumes 12:3), ils affectèrent leurs membres et eurent la main ou la jambe brisées, ou tout autre membre lié à la mitswa qu’ils avaient souillée.
Ils furent guéris de ce péché en cessant de médire les uns des autres et en s’aimant. Ils imitèrent ainsi les anges “tous chéris, tous choisis, tous puissants, tous saints, qui répètent en chœur les paroles du D-ieu vivant; qui se donnent l’un à l’autre l’autorisation de sanctifier leur Créateur avec amour et fraternité, qui s’écrièrent d’une voix unanime : “Il est Saint dans les Cieux élevés” (Tour, Ora’h ‘Haïm 132). S’adressant l’un à l’autre, ils s’écrient : “Saint, saint, saint, est l’Éternel Tsévaoth” (Isaïe 6:3).
C’est sans doute ce à quoi faisaient allusion nos Sages en disant : “Ne crois pas en toi-même jusqu’au jour de ta mort” (Pirqé Avoth 2:5). Ne te fie pas à ta constitution physique personnelle ; tes membres seront touchés si tu les souilles par tes péchés et tu peux tomber malade “jusqu’au jour de ta mort.” En revanche, si tu empruntes le chemin de la droiture, tes os seront guéris, ton corps sera en bonne santé, et tu pourras servir ton Créateur comme il convient.
“Les premières Tables de la Loi – qui furent solennellement données aux enfants d’Israël – furent brisées à cause du mauvais œil. D'autre part, les secondes Tables de la Loi – qui furent données dans la discrétion – restèrent intactes” enseigne le Midrach (Tan’houma, Ki Tissa 31). Plusieurs commentateurs se demandent pourquoi le mauvais penchant a réussi à faire pécher les enfants d’Israël, qui malgré les nombreux miracles auxquels ils avaient assistés à la mer et pendant le don de la Tora, (premières Tables de la Loi), ont construit le veau d’or.
Les mêmes commentateurs notent que pour les secondes Tables, les enfants d’Israël accédèrent à de très hauts niveaux dans l’étude de la Tora, jeûnèrent pendant quarante jours, et se firent pardonner leur faute le Jour de Yom Kipour (cf. Nombres 14:20 et Rachi, Deutéronome 9:18). Pourquoi le mauvais penchant n’a-t-il pas réussi à les faire pécher encore une fois ?
C’est que, nous l’avons vu, avant le don de la Tora les anges guérirent le peuple de toutes ses infirmités (Yalqouth Chimoni Yithro 300) et de tous leurs mauvais traits, mais comme ils n’avaient pas personnellement déployés d’efforts pour y arriver, seule leur infirmité extérieure était guérie. Leur cœur n’était pas tout à fait pur et ils étaient contraints d’accepter la Tora. C’est pourquoi ils commirent le péché du veau d’or. Mais lorsqu’ils reçurent les secondes Tables de la Loi, ils s’imprégnèrent profondément de la Tora et accédèrent à des niveaux sublimes. Ils crurent alors en eux-mêmes d’une bonne façon.
Les premières Tables, qui dénotaient l’aspect extérieur du Service divin, se brisèrent, alors que les secondes, qui en dénotaient l’aspect intérieur, restèrent intactes. On peut dire aussi que les enfants d’Israël ont failli pendant la période des premières Tables de la Loi parce qu’ils se croyaient tout à fait intègres. “Si nous n’étions pas intègres, se dirent-ils, nous n’aurions pas mérité de voir la Chékhina, d’assister à de nombreux miracles, de consommer la manne la nourriture des anges (cf. Yoma 75b), de vivre en paix sains et saufs….”
Ce sont ces pensées qui incitèrent le mauvais penchant à s’attaquer à eux. Mais pendant la période des secondes Tables, ils comprirent qu’il ne fallait pas croire en eux-mêmes avec suffisance et que tous les prodiges que le Saint, béni soit-Il, avait accomplis pour eux, étaient un don gratuit destiné à leur faire emprunter le bon chemin, et qu’ils n’étaient en aucun cas des Tsadiqim. Car l’Éternel fait preuve de longanimité, même à l’égard des méchants (Qidouchine 40b). Ayant fait de grands efforts, les enfants d’Israël ont alors réussi à vaincre leur mauvais penchant.
L’homme doit donc savoir que c’est précisément quand on n’a pas de problèmes particuliers de subsistance, de santé, qu’il faut prendre les plus grands soins. La vie sereine qu’il mène est susceptible de lui faire croire que sa conduite plaît à D-ieu et qu’il mérite la bénédiction que le Ciel lui prodigue dans tous les domaines. C’est l’occasion qu’attend de mauvais penchant ; il convient alors de doubler de précautions pour ne pas tomber dans ses filets. L’homme doit alors s’engager assidûment dans l’étude de la Tora, corriger ses mauvais traits en profondeur et pas superficiellement, faire pénitence chaque jour (cf. Avoth 2:10 ; Chabath 153a).
Car comment l’homme sait-il qu’il n’a pas péché ? Il se peut bien qu’il ait péché sans se rappeler son méfait. La pensée même de croire qu’on n’a pas commis d’erreur est très condamnable. “J’ai péché, parce que je ne savais pas.” (Nombres 22:34) dit Bil’am à l’ange du Seigneur. Cette ignorance même constitue un péché, et témoigne de l’orgueil inhérent à l’homme.
Les Sages (Bava Métsia 85a) enseignent : “Le Saint, béni soit-Il, a demandé aux Sages et aux Prophètes : 'Pourquoi ce pays est-il ruiné, dévasté comme le désert où personne ne passe ?' (Jérémie 9:11-12). Mais ils ne purent lui fournir une réponse. L’Éternel leur dit alors : “Parce qu’ils ont abandonné Ma Tora” (id.). Comment peut-on concevoir que Jérusalem, où se sont accomplis de nombreux miracles (Pirqé Avoth 5:3) ait été détruite ? C’est parce que les enfants d’Israël, qui s’étaient habitués aux miracles, considéraient que s’ils n’étaient pas vraiment méritants, ils n’auraient pas eu le privilège d’y assister.
Sûrs d’eux-mêmes et de leur valeur, ils ont alors commencé à négliger l’étude de la Tora et accomplirent les mitswoth par simple routine, sans aucune concentration. Leur Service divin ressemblait alors à un corps sans âme. Leur intégrité n’était donc qu’extérieure. C’est parce qu’ils avaient tout reçu comme cadeau, sans déployer le moindre effort. L’homme ne doit donc jamais se considérer comme un Tsadiq ; ce qu’il doit toujours faire, c’est de s’engager dans l’étude de la Tora pour s’élever spirituellement.
Le Talmud (Méguila 12a) demande : “Pourquoi sous le règne d’A’hachvéroch, les enfants d’Israël couraient-ils un danger mortel ? Parce qu’ils ont pris plaisir aux festivités organisées par ce mécréant.” Sûrs d’eux-mêmes, les juifs de cette génération répondirent volontiers à l’invitation du roi (Esther Raba 2:5). Ils assistèrent alors à des péchés abominables. Cela prouve que leur cœur n’était pas pur. Par leur conduite, ils ont souillé le Nom de D-ieu. Au lieu de croire en D-ieu et de tout faire pour ne pas assister à ce festin, ils crurent trop en eux-mêmes et étaient sûrs de ne pas tomber.
Néanmoins, après le miracle de Pourim, ils ont de nouveau reçu la Tora, comme il est écrit : “Les juifs accomplirent et reçurent pour eux et leur postérité [la Tora]” (Esther 9:27). S’ils l’avaient reçue de force et extérieurement, si l’on peut dire, au Mont Sinaï, à Pourim cependant ils la reçurent avec amour. Le Talmud (Méguila 7a) enseigne qu’ils ont accompli en haut ce qu’ils ont reçu en bas. Leur geste fut agréé en haut parce que leur nouvelle réception de la Tora était intérieure.
Se conformant à la prescription de Mardochée, ils commencèrent à emprunter la voie divine à ne pas se considérer comme des Tsadiqim, et à ne compter que sur l’Éternel.
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