Les mères porteuses : c’est kacher ?

Contrairement au lien paternel qui existait à la conception, le lien maternel est défini par la personne qui porte le fœtus et qui a donné la naissance à l'enfant.

7 Temps de lecture

le rabbin Kenneth Brander

Posté sur 06.04.21

Définition de la paternité

Il [Mordekhaï] était le tuteur de Hadassa, c'est-à-dire d'Esther, la fille de son oncle qui n'avait plus ni père ni mère ; cette jeune fille était belle de taille et belle de visage ; À la mort de son père et de sa mère, Mordekhaï l'avait adoptée comme sa fille.” (Esther 2:7)
 
Le Talmud est perplexe à cause de la répétition du fait qu'Esther était une orpheline : “Pour quelle raison cette répétition ? Rabbi Aha a dit : 'Lorsque sa mère fut enceinte d'elle, son père mourut ; lorsqu'elle naquit, sa mère mourut'.” (Meguila 13a)
 
Selon le Talmud, Esther devint immédiatement orpheline à sa naissance. Son père mourut immédiatement après qu'elle fut conçue et donc avant sa naissance. Ceci nous permet de commencer à avoir une définition de la paternité : celle-ci est établie avec l'acte de conception.
 
Cette idée est développée dans un autre extrait du Talmud :
 
L'on demanda à Ben Zoma : 'Un Grand Prêtre peut-il épouser une vierge qui est devenue enceinte ? Dans ce cas, prenons-nous en considération la déclaration de Chmouel qui a dit : 'Je peux avoir plusieurs relations sexuelles sans [causer] un saignement [i.e. sans rompre l'hymen] ; ou peut-être que le cas de Chmouel est rare [et qu'il ne mérite pas d'être retenu] ?' Il [Ben Zoma] répondit : 'Le cas de Chmouel est rare, mais nous envisageons cependant la possibilité qu'elle ait pu concevoir dans un bain [i. e. devenir enceinte en l'absence d'un acte sexuel]'." ('Haguiga 15a)
 
Le Talmud ne considère pas le statut d'une femme enceinte qui n'a pas eu de relations sexuelles comme une transgression de l'obligation – pour les Grands Prêtres – d'épouser seulement des femmes vierges. Par conséquent, dans le cas ci-dessus – lorsque la grossesse n'est pas le résultat d'un acte sexuel – le Grand Prêtre est autorisé à épouser la jeune femme vierge qui est enceinte.
 
Le Talmud reconnaît ainsi la possibilité d'une grossesse, en l'absence d'un rapport physique entre un homme – le donneur de la semence – et une femme – porteuse le fœtus.
 
Le Midrach précise cette idée talmudique en suggérant que Ben Sira était considéré comme le fils de Jérémie, même si sa mère n'eut jamais de rapport physique avec celui-ci. Selon le Midrach, Ben Sira fut conçut avec la semence de Jérémie qui se trouvait dans un bain et qui entra dans la mère de Ben Sira. Ce Midrach met en relief un concept identique à celui que nous avons cité à propos d'Esther : la paternité se fonde sur l'homme qui donne la semence afin de fertiliser l'œuf de la femme.
 
Le commentaire Beith Chmouel à propos du Choul'han 'Aroukh (Even Ha'Ezer I:10) – écrit par Rav Chmouel Feivush s'accorde également pour dire que le donneur de la semence est le père d'un enfant, même en l'absence de rapport physique. Cette opinion est appuyée par de nombreuses décisions halakhiques (de droit juif), parmi elles celle de Rabbi Chim'on ben Tsema Duran, le Tachbetz (III:263).
 
En se basant sur cette littérature halakhique, de nombreux posqim (décisionnaires de la loi juive) de notre époque partagent l'avis qu'un homme qui a pris part à un processus d'insémination artificielle ou de fécondation in vitro doit être considéré comme le père de l'enfant conçut et qu'il a rempli le commandement biblique de “croissez et multipliez” (Genèse 1:22). Parmi ces nombreuses autorités, il est possible de citer : Rabbi 'Ovadia Yossef, Rabbi Yits'haq Weiss, Rabbi Zalman Ne'hemya Goldberg, Rabbi Moché Hershler et Rabbi Avigdor Neventsal.
 
D'autres autorités halakhiques partagent un avis différent et selon elles, le commandement de “croissez et multipliez” n'est pas rempli lorsque la procréation n'est pas réalisée d'une façon naturelle.
 
En se basant sur cette riche littérature à propos de la définition de la paternité, il existe un souhait général partagé par les posqim pour le besoin de protocoles dans les cliniques d'infertilité afin de garantir des standards stricts de supervision pour le don de semence et pour s'assurer qu'une femme reçoit bel et bien le semence de son mari.
 
Dans la mesure où la paternité est déterminée par la personne qui donne la semence, Rabbi Moché Feinstein suggère que lorsqu'un mari est impotent – et que le couple a besoin d'un don de semence – la semence soit donnée par un homme non juif. Cela permet d'éviter de nombreux problèmes qui pourraient surgir à propos de l'impossibilité d'identifier comme père la personne juive anonyme qui a donné la semence.
 
En résumé : la paternité est définie par la personne qui donne la semence. Le donneur est considéré comme le père de l'enfant. Ceci détermine également le statut spécifique de l'enfant juif : kohen, lévi ou Israël. Il permet d'identifier les personnes pour lesquelles l'enfant est tenu d'observer les lois de deuil. Il définit les membres de la famille que l'enfant n'a pas le droit d'épouser et est primordial pour définir les questions relatives aux héritages.
 
Définition de la maternité
 
Afin de définir la maternité, il existe quatre options à considérer :
 
1) La maternité est définie par le donneur génétique. La femme qui fournit l'œuf qui doit être fertilisé est la mère. Même si son œuf est placé dans l'utérus d'une autre femme, l'enfant né est maternellement lié au donneur d'œuf et pas à la femme qui a porté le fœtus.
 
2) Le plus important n'est pas le donneur d'œuf. Plutôt, le facteur crucial est l'identité de la femme qui a porté le fœtus. Dans ce cas, la maternité est définie par la femme qui permet au fœtus de se développer, plutôt que par la femme qui a donné à l'enfant son identité génétique.
 
3) Selon cette option, le donneur de l'œuf et le porteur du fœtus possèdent une relation maternelle avec l'enfant.
 
4) L'enfant est considéré comme n'ayant pas de mère.
 
Nous trouvons des posqim pour chaque option citée et tous basent leur opinion sur des extraits talmudiques et sur la littérature halakhique. Pourtant, on relève que la majorité des posqim définit la maternité selon l'identité qui a porté le fœtus, plutôt que par le donneur d'œuf. Cette opinion se base sur différents extraits du Talmud dont nous citerons quelques uns.
 
À plusieurs reprises, le Talmud Yevamoth (22a, 48b et 62a) aborde le sujet du statut de frères jumeaux qui se sont convertis au judaïsme. Si les jumeaux ont été convertis après la naissance, il n'existe alors plus de lien familial halakhique entre les deux. Ceci est basé sur un extrait du Talmud, selon lequel : “une personne convertie est considérée comme un nouveau-né.”
 
Par conséquent, l'ensemble des liens familiaux précédents des jumeaux convertis sont effacés. Le Talmud continue en abordant le cas de jumeaux convertis avant la naissance (utérine) ; dans leur cas, les jumeaux sont considérés n'avoir aucun lien, même en ce qui concerne leur paternité. Tel que nous l'avons expliqué précédemment, la paternité est établie à la conception. Ainsi, lorsque la conversion se déroule après la conception, le lien paternel qui existait avant la conversion est annulé. Ceci inclut toutes les responsabilités et avantages halakhiques qui pouvaient accompagner ce lien parental.
 
Cependant, le Talmud précise qu'une conversion réalisée sur une femme enceinte ne compromet pas le lien parental juif qui existait auparavant entre la mère et son enfant (pas encore né).
 
La conclusion que nous pouvons tirer de cet extrait du Talmud est que contrairement au lien paternel qui existait à la conception, le lien maternel est défini par la personne qui porte le fœtus et qui a donné la naissance à l'enfant. Par conséquent, dans le cas cité par le Talmud, le lien maternel halakhique n'est pas mis en cause par la conversion réalisée sur la femme enceinte et les fœtus des jumeaux qu'elle porte.
 
Le Rav Aharon Soloveichik suggère que la définition de la maternité peut être déduite de l'extrait du Talmud Yevamoth (69b). Selon cet extrait, pendant les quarante premiers jours de la conception, l'œuf fertilisé est considéré comme un “maya b'alma” (“un corps d'eau”). Durant ces quarante premiers jours, l'œuf fertilisé n'est pas considéré comme une entité qui possède une substance matérielle particulière. Dans le cas où le lien entre le donneur de l'œuf et le fœtus prend fin avant le quarantième jour, il s'agit d'un lien qui a été établi tandis que le sujet était sans importance et ne peut donc pas se poursuivre.
 
Par conséquent, nous ne pouvons pas attribuer un lien spécifique entre le donneur d'œuf et le foetus. “Le donneur d'œuf ne doit pas être considéré plus qu'un matériel synthétique fabriqué au Japon. La conséquence est qu'un enfant né d'une mère juive avec un œuf qui a été donné par une femme non juive n'exige pas de conversion, même… selon l'interprétation la plus stricte de la loi” écrit le Rav Aharon Soloveichik. Ceci confirme – une fois de plus – la notion que la maternité est définie par la femme qui porte le fœtus et qui donne naissance à l'enfant, plutôt que par le donneur de l'œuf.
 
Dans une lettre au Rav Mena'hem Burstein, le Rav Shaul Israeli soutient cette définition de la maternité : celle-ci est définie par la femme qui porte le fœtus et qui donne naissance, plutôt que par la personne qui fournit l'œuf. D'une façon étonnante, le Rav Israeli utilise un extrait agadique (herméneutique) pour défendre cette approche (les textes herméneutiques ne sont généralement pas utilisés pour des questions halakhiques).
 
Le Targoum Yonathan Ben Uziel (Genèse 30:21) suggère que notre matriarche Ra'hel était enceinte de Dina, tandis que Léa était enceinte de Yossef [cela se déroulait alors que Léa savait qu'il ne manquait plus que deux enfants de sexe masculin pour compléter le nombre des douze tribus fondatrice du peuple juif.]
 
Léa – sachant qu'elle portait un garçon – prit conscience que la contribution de Ra'hel à la formation des tribus d'Israël serait ainsi limitée – au maximum – à un enfant de sexe masculin [le douzième et dernier enfant garçon à naître]. Léa pria D-ieu pour que son fœtus de sexe masculin soit changé miraculeusement avec le fœtus de sexe féminin que portait Ra'hel. De la sorte, Ra'hel pourrait par la suite avoir un deuxième enfant de sexe masculin et être la mère de deux tribus du peuple juif.
 
D-ieu écouta la demande de Léa et Ra'hel donna naissance à Yossef, tandis que Léa eut Dina. Nous apprenons de cela que la maternité n'est pas attribuée par la femme qui a donné l'œuf : Léa ; plutôt, c'est Ra'hel – la femme porteuse et qui lui a donné naissance – qui est considérée comme la mère de Yossef.
 
Conclusion
 
Si nous désirons être les véritables garants de la Tora, nous devons absolument examiner chaque évènement qui se déroule dans notre vie à travers son prisme. C'est grâce à cette attitude que l'éternité de notre relation unique avec D-ieu sera assurée. Le sujet dont nous avons discuté ici reflète ce défi. En même temps, il démontre un exemple de la sensibilité et du sentiment de responsabilité de la part de la halakha, dans tous les aspects de la vie des être humains.

Ecrivez-nous ce que vous pensez!

Merci pour votre réponse!

Le commentaire sera publié après approbation

Ajouter un commentaire