Entre guelfite fish et couscous
Lorsque ma belle-mère me vit pour la première fois, elle faillit tomber à la renverse. Elle s'était préparée à beaucoup de choses... mais pas à moi !
28 août 5770 – 14 mars 2010
À mes yeux, les deux semaines qui précèdent les jours de Pessa’h (la Pâques juive) présentent une saveur unique et irremplaçable. Chaque famille juive est occupée à nettoyer sa maison en préparation de la fête qui marque la libération et la naissance du peuple juif. Le Maître du monde nous l’a dit sans détour : pas une seule miette ne doit résider en nos murs pendant les huit jours de la fête. En d’autres termes : le combat se résume à celui de la baguette contre le Créateur !
Une lutte inégale
À priori, cette lutte est non seulement inégale, mais d’un autre âge. De fait, comment peut-on penser spécifiquement qu’un quignon de pain pourrait l’emporter face à D-ieu ? Pourtant, si Hachem a fixé de la sorte les règles du jeu, c’est bien que l’issue du combat est incertaine. Il en va ainsi de la vie : nos certitudes sont faites pour être vaincues.
Cela me rappelle une histoire vieille de quelques années, lorsque j’ai rencontré celle qui serait ma future femme. Sans entrer dans les détails de ma vie privée, je vous dirais que mon cœur est plus proche du poisson guelfite que de la merguez. Sans doute une question de gènes ! D’autre part, les membres de ma belle-famille sont d’une pureté totale : nourris au couscous depuis la plus tendre enfance, l’expression « guelfite fish » évoque pour eux un monde à part, issue des souches polonaises et de Russie blanche et dont ils se sentent aussi proches que la française moyenne l’est de la burqua.
Lorsque ma belle-mère me vit pour la première fois, quelques jours avant Pessa’h, elle faillit tomber à la renverse. Elle s’était préparée à beaucoup de choses… mais pas à moi ! J’essaie de garder le sourire dans toutes les circonstances, mais ce jour-là, je ne pus m’empêcher de faire remarquer à ma future femme que le teint de sa mère ressemblait à un guelfite fish mal cuit. Je l’avoue sans ambages : il s’agissait d’une remarque déplacée, compte tenu du pedigree de ma belle-famille.
Un tiers de siècle plus tard, les merguez et le guelfite fish hantent toujours les jours qui précèdent la Pâque juive. Chaque année, la discussion a lieu, tel un rituel ; ma femme me demande d’un air candide : « Servirons-nous du poisson hlaimi ou du guelfite fish pour le Seder ? » Ma femme ne l’a jamais avoué, mais je suis persuadé qu’elle consacre plusieurs heures à prier avant de me poser cette question. Que ne donnerait-elle pas pour que je réponde : « Mais chérie, je désire seulement du poisson hlaimi ! Où donc as-tu la tête ? »
Pourtant, à ma grande honte, j’admets qu’en entendant cette question, mon sang ne fait qu’un tour et je m’entends répondre invariablement : « Comment ? Un Seder sans guelfite fish ? J’espère que tu plaisantes ! » Vous le comprenez maintenant sans mal : chaque année, à l’approche de Pessa’h, les relations au sein de mon couple deviennent tendues. Je suis prêt à abandonner beaucoup de choses, mais pas la vue du guelfie fish sur ma table du Seder. Chaque personne possède ses limites et celles-ci sont les miennes.
Cette année, je ne dois pas lutter seulement pour défendre mes « valeurs culturelles » au sein de ma famille, mais également pour ne pas sombrer dans un état de désespoir total à la vue des évènements du monde. De l’Iran à la Suède, de Washington à Londres… le même tableau peut être dressé : le pays dans lequel je vis est dénoncer de partout et à croire les médias, Israël ressemble presque à un camp de concentration pour les palestiniens !
Se concentrer sur l’essentiel
On oublie souvent que nous devons nous rapprocher vers D-ieu non pas malgré ce qui se passe dans le monde et dans notre vie, mais précisément grâce à cela. De fait, le Maître du monde taille sur mesure la situation idéale – à chaque instant de notre vie – pour que nous nous tournions vers Lui afin de le Louer et de le supplier de venir à notre aide.
J’avoue que ces derniers mois, il m’arrive de voir presque réellement la « main » d’Hachem dans la gouvernance du monde. Le nombre d’évènements anormaux se multiplient (et je ne fais pas référence à ma belle-mère qui a soudainement décidé de venir s’installer chez moi pendant la fête de Pessa’h !) sans que nous puissions en voir une fin proche.
Les tremblements de terre, les mouvements fous des mers, les émeutes… tout semble se liguer pour annoncer une fin du monde proche et certaine. À quel endroit du monde une personne peut-elle vivre sereinement et sans avoir l’impression que le ciel peut lui tomber sur la tête à chaque instant ?
Même si les drames ne sont pas vraiment une nouveauté dans l’histoire du monde, on les sent de plus en plus proches de nous. La conséquence est inévitable : nous nous sentons de plus en plus fragiles et vulnérables. C’est exactement leur objectif ultime : nous forcer gentiment la main à faire appel au Créateur et à mettre de côté notre vanité.
Il faut dire que nous aimons notre confort. Bien sûr, le confort matériel est visé, mais également le mental. Lorsque nous sommes installés dans nos certitudes, rien ne paraît pouvoir nous déstabiliser.
Cela me fait penser aux juifs assimilés de l’avant-guerre qui regardaient les ‘hassidiques comme des extra-terrestres et la cause principale de l’antisémitisme allemand. Imbibés de culture non juive et ayant calqué leur mode de vie sur celles prônées par des valeurs étrangères à notre tradition, la pensée la plus partagée par ce groupe de personnes se résumait à : « Nous ne serons jamais les victimes de l’antisémitisme allemand ! Les allemands savent que nous sommes leurs frères et il ne leur viendrait jamais à l’idée de se tourner contre nous. »
Nous savons où tout cela a fini : la fumée des fours crématoires n’a jamais fait la différence entre un juif authentique et un autre.
C’est ainsi que nous devons considérer la façon dont est conduit le monde : un terrain d’entraînement au Divin. Ceux qui relèvent le défi arrivent à s’en approcher, tandis que les autres se plaignent du matin au soir et finissent leur passage sur le terrain en étant désintégrés. Nous ferions bien de choisir notre camp avant que l’arbitre n’en siffle la fin.
Le choix existe, il suffit d’y penser et de le désirer. Avant tout, nous devons faire le maximum d’efforts afin de ne pas nous éloigner d’Hachem. Cela signifie étudier Ses lois pour savoir ce que nous devons faire : quand et comment. Ensuite, nous devons apprendre à notre cœur à nous brancher sur le mode spirituel, plutôt que matériel. Si nous étudions la Tora (chaque personne selon ses caractéristiques et son niveau), cette liaison ne sera pas trop difficile à établir. En minimisant notre éloignement, nous réduisons en même temps les « tsunamis » de notre vie quotidienne.
Ensuite, lorsque nous sommes face à une difficulté, nous devons multiplier les prières et demander l’aide du Créateur. Dans la mesure où c’est Lui qui nous envoie les épreuves, c’est également Lui qui peut y mettre fin. Si nous parvenons à mettre en place un style de vie qui suit ces préceptes simples, nous aurons fait un grand pas vers la sortie du tunnel, c’est-à-dire vers notre propre géoula (fin de l’exil).
C’est cet objectif noble que nous devons avoir en cette période de préparation de la fête de Pessa’h. Lors de la Pâques juive nous ne célébrons pas seulement un exode lointain : celui du peuple juif de l’Égypte. De fait, nous devons souhaiter et désirer ardemment la fin d’un autre exil : le nôtre. C’est lui qui nous fait sortir de la sphère spirituelle pour courir après la matérielle ; c’est également lui qui est responsable de toutes nos difficultés et de tous nos malheurs.
« Maître du monde ! Viens à notre aide et tires-nous d’un bras puissant de cet exil insupportable. C’est le cœur rempli de larmes que je m’adresse à Toi. Dans quelques jours, je fêterai Pessa’h, c’est-à-dire la naissance du peuple juif. Aide-moi à faire partie de cet événement fondateur et essentiel. Malgré les apparences, je ne désire pas rester de côté. Prends-moi ! Ne m’oublie pas ! »
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