Vérité et sincérité

A l’époque de Rabbi Yossef Dov Soloveychik z.t.sl, le Beit HaLevi, Rav de Brisk, les maskilim, les juifs qui prônaient l’émancipation, s’élevèrent contre la foi juive et tentèrent d’attirer les Juifs simples pour les éloigner de la Torah. Les érudits de l’époque tentèrent de contrer cette influence néfaste, mais nombreux succombèrent aux maskilim. Un jour, les élèves du Beit HaLevi lui demandèrent : “Rabenou, si nous défendons la vérité et eux le mensonge, pourquoi ont-ils tant de succès ?” Il répondit : “Ils défendent le mensonge avec sincérité, tandis que nous défendons la vérité avec hypocrisie. Si nous étions aussi sincères qu’eux, nous les vaincrions.”

Un jour, un Juif pieux de Bagdad, rentrant tard après une longue journée d’étude, entendit des rires et moqueries de Juifs attablés, non pour boire du café, mais de l’arak et du whisky, jouant aux cartes et échangeant des plaisanteries indécentes. Attristé, il s’écria du fond du cœur : “Frères bien-aimés, réveillez-vous! Sauvez vos âmes! Cessez ces mauvaises actions. Rentrez chez vous maintenant, et demain matin, vous aurez la force de vous lever pour dire le Shéma et prier, et vous subviendrez aux besoins de vos familles.” Ces paroles touchèrent leurs cœurs. Ils se dirent :”Les paroles de cet homme pieux sont justes.” C’est alors qu’ils décidèrent de lui donner l’argent prévu pour jouer aux cartes, en disant : “Prends cela comme cadeau. Va et achète des chaussures pour tes enfants et de la nourriture pour nourrir vos âmes.” Au début, il refusa, mais après leurs insistances, il accepta l’argent et s’en alla. Lorsqu’il arriva chez lui, son épouse lui demanda la raison de son retard. Il lui expliqua comment, en entendant des paroles de frivolité, il avait exhorté ces Juifs à revenir à de meilleurs comportements, et comment, par la grâce de D.ieu, leurs cœurs s’étaient ouverts pour lui donner généreusement cet argent. Sa femme se réjouit grandement. Le lendemain, elle alla au marché, acheta des chaussures et des vêtements pour les enfants, et prépara abondamment à manger. Pendant six mois, ils vécurent de cet argent, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Voyant la détresse de sa femme et de ses enfants, et ressentant lui-même la faim après trois jours sans repas complet, il eut une idée. Tard dans la nuit, il décida d’entrer dans un café et commença à crier à l’encontre des personnes qui s’y trouvaient : “Quelle honte, comment pouvez-vous gaspiller votre temps à jouer aux cartes et à boire ?” Les hommes se levèrent contre lui et le battirent violemment. Puis, blessé jusqu’au sang, ils le chassèrent. Il alla alors voir un sage de la ville pour comprendre ce qui fit la différence entre ces deux expériences. Le sage lui répondit : “La première fois, tu as agi pour l’honneur du Ciel, parlant du fond du cœur et les reprenant avec sincérité. Les paroles venant du cœur pénètrent le cœur. Mais la deuxième fois, tu as joué un rôle, et tes paroles ne sont pas entrées dans leurs cœurs. Au contraire, tes cris les ont irrités.”