Les origines de la prière
S'il est écrit dans la Tora que nous devons prier, il n'est pas écrit que nous devons le faire à un moment plutôt qu'à un autre...
Rabbi David ben R. Yossef Aboudraham vivait en Espagne, au 13ième siècle. Son ouvrage le plus célèbre est le livre qui porte son nom : “Aboudraham”. Il s'agit d'un recueil de traditions, commentaires et lois sur les prières. Les informations transmises dans cet ouvrage en font un des plus importants – et des plus anciens – pour tous ceux et toutes celles qui désirent s'informer sur les prières : quelles prières doit-on prononcer ? Pour quelles raisons ? Quelles étaient les traditions reçues par nos ancêtres en ce qui concerne la prière ? Etc.
Nous offrons à nos lecteurs la traduction française de larges extraits de cet ouvrage. Leur lecture nous permet d'acquérir un goût nouveau pour les prières et une connaissance – historique et halakhique – de ce qui est l'essence de notre rapport avec le Créateur du monde : la prière.
Dans notre présentation, le texte du “Aboudraham” apparaît en caractère gras, tandis que nos commentaires sont écrits en caractères habituels.
La prière et les femmes
“Servir Hachem en priant est une “mitswa 'assé ” (un commandement positif) biblique, tel qu'il est dit (Chemoth-Exode 23 : 25) : “Vous servirez Hachem votre D-ieu.” Il est également dit (Devarim-Deutéronome 11 : 13) : “… Le servant de tout votre coeur.”
Le Midrach Sifri (Chemoth-Exode 23 : 25) et le Talmud Yérouchalmi (Berakhoth 4 : 1) ont commenté : “Qu'est ce que le service du coeur? Il s'agit de la prière.” De fait, nous savons que la prière est appelée un “service” d'une façon explicite dans le sefer Daniel (6 : 21) : “… Ton D-ieu que tu sers constamment.” Cela fait référence à la prière, tel qu'il est écrit plus tôt (verset 11) : “… trois fois par jour, il se mettait à genoux, priant et louant Hachem…””
Les mitswoth (commandements) bibliques sont partagées en deux catégories : les “mitswoth 'assé ” (commandements positifs) et les “mitswoth lo ta'assé ” (commandements négatifs). Un commandement positif est celui où nous sommes commandés de faire quelque chose. Quelques exemples de mitswoth 'assé : construire une souka (cabane) pendant la fête de Soukoth (la fête des cabanes); porter des tefilines pendant la prière du matin; étudier la Tora; et bien sûr : prier chaque jour.
D'autre part, un commandement négatif est celui où nous sommes commandés de ne pas faire quelque chose. Quelques exemples de mitswoh lo ta'assé : ne pas allumer de feu pendant le Chabath; ne pas consommer d'aliments qui ne sont pas kachers; ne pas voler; etc.
Nous savons que la prière est une mitswa 'assé (un commandement positif) en suivant une logique à trois étapes. 1) En nous ordonnant de Le servir (“Vous servirez Hachem votre D-ieu”), Hachem fait du service de D-ieu une mitswa 'assé (un commandement positif). 2) Le verset dans Devarim/Deutéronome (“… Le servant de tout votre coeur”) nous apprend que ce type de service doit être fait avec notre coeur. 3) Le Talmud Yérouchalmi nous apprend que le service du coeur est celui de la prière.
“Maintenant, il n'est pas indiqué dans la Tora que la prière doit être faite à un moment précis, à une heure particulière. Ainsi, puisqu'il s'agit d'une mitswa 'assé (un commandement positif) qui n'est pas liée au temps, les femmes (…) sont également obligées de prier.”
Certaines mitswoth 'assé (commandements positifs) sont liées au temps (mitswa 'assé ché-azman grama), tandis que d'autres ne le sont pas (mitswa 'assé chélo-azman grama). Les premières sont celles qui peuvent être faites seulement à un moment précis (une certaine heure du jour, un certain jour de l'année…).
Parmi celles-ci on peut citer : l'obligation de manger des matsoth (galettes de pains azymes) le premier soir de Pessa'h (Pâques); sonner du chofar (corne de bélier) le jour de Roch Hachana; porter des tsitsith (franges) aux coins des vêtements pendant le jour… Parmi les commandements qui ne sont pas liés au temps (mitswa 'assé chélo-azman grama), on peut citer : l'étude de la Tora, donner la tsedaqa (charité); les lois de la pureté familiale …
La prière est une mitswa 'assé (commandement positif) que la Tora n'a pas limitée au temps. De fait, s'il est écrit dans la Tora que nous devons prier, il n'est pas écrit que nous devons le faire à un moment plutôt qu'à un autre. Une personne – selon la Tora – peut choisir de prier une seule fois par période de vingt-quatre heures, que cela soit le jour ou la nuit.
Il est écrit dans la Michna Qidouchin (29a) que les femmes sont exemptées des commandements positifs liés au temps, mais qu'elles sont obligées de respecter les commandements positifs qui ne sont pas liés au temps. Ainsi, les femmes ne sont pas obligées de construire une souka (cabane) pendant la fête de Soukoth (des cabanes); elles ne sont pas obligées de porter des tsitsith (franges) aux coins de leurs vêtements… Cependant, elles sont obligées de donner la tsedaqa (charité), d'honorer leurs parents, et bien sûr, de prier.
“D'autre part, la façon dont nous devons prier non plus n'est pas indiquée par la Tora. C'est pour cela que [selon la Tora] chaque personne peut prier – avec une concentration adéquate – de la façon dont elle désire ou veut. C'est ainsi que les choses se passaient à l'époque de Moché (Moïse) et jusqu'à la destruction du Beth HaMiqdach (Temple) et de sa splendeur.”
Les sidourim (livres de prières) que nous possédons de nos jours n'ont pas toujours fait partie du service des prières. Dans la mesure où la Tora n'indique pas de forme particulière pour la prière, celle-ci – selon la Tora – peut revêtir la forme souhaitée par chaque personne. Une personne peut ressentir le besoin de prier souvent et longtemps; une autre se contentera d'une courte prière chaque jour.
Cela explique la raison pour laquelle les sidourim (livres de prières) n'existaient pas jusqu'à l'époque du Beth HaMiqdach (Temple). Chaque personne faisait la prière qu'elle désirait, lorsqu'elle le désirait. Il suffisait de s'assurer de prier au moins une fois par jour pour remplir son obligation biblique envers la prière.
De nos jours, cette forme de prière a été oubliée et remplacée par la prière dite en se servant d'un sidour. Cependant, les personnes qui suivent l'enseignement de Rabbi Na'hman et qui font hitbodedouth, prient encore à la façon dont les juifs priaient jusqu'à la disparition du Temple. De fait, hitbodedouth doit être pratiquée tous les jours et consiste à prier Hachem – sans livre de prières – en vidant son coeur, en utilisant les mots qui sortent d'une façon instinctive de notre bouche.
Évidemment, depuis que la halakha (loi juive) oblige les hommes juifs à prononcer les prières inscrites dans les sidourim, hitbodedouth ne peut pas se substituer à cette obligation rabbinique. Plutôt, elle vient s'y ajouter et nous permet de nous adresser au Créateur dans la langue dans laquelle nous sommes les plus familiers et de donner libre cours à nos besoins, pensées… sans être tenus de suivre un texte pré-écrit.
L'apparition du sidour (livre de prières)
“Ensuite, le peuple d'Israël fut été exilé parmi les nations du monde, suite à ses péchés et ses actes. Il se mélangea alors avec les différents peuples, tel qu'il est écrit (Psaumes 106 : 35) : “Ils se mêlèrent aux peuples et s'inspirèrent de leurs coutumes.” Dans ces terres étrangères, des enfants naquirent [aux juifs].
La langue qu'utilisaient ces enfants n'était plus parfaite car mélangée aux langues étrangères : la langue des peuples moabites, 'ammonites, édomites, des tsadonites, 'hitites, tel qu'il est écrit (Ne'hemyia-Néhémie 13 : 24) : “La moitié de leurs enfants parlaient la langue d'Achdod ; ils ne savaient point parler le judéen, mais se servaient de l'idiome de tel ou tel autre peuple.”
Logiquement, il n'y en avait pas un seul parmi eux qui pouvait prier ou parler pour demander ce qu'il voulait dans la langue des juifs. Ainsi, à cause de l'imperfection de la langue des étrangers et du fait qu'elle y était mêlée, la langue sainte [i. e. l'hébreu] disparut de la terre.”
Une des conséquences de l'exil, fut la disparition progressive de l'utilisation – et de la connaissance – de l'hébreu. Mêlés aux non-juifs, les juifs se mirent à parler leurs langues et à oublier la leur. De nos jours, cela se vérifie avec la majorité des juifs qui parlent la langue du pays dans lesquels ils vivent (France, États-Unis…), mais qui ignorent l'usage courant de l'hébreu.
La perte de l'hébreu – ajoutée à l'absence de textes communs de prières – ouvrait une perspective que nos Sages ont redoutée : celle d'une disparité totale entre les juifs dans leur façon de s'adresser à Hachem. C'est non seulement la langue dans laquelle les juifs priaient qui était devenue différente d'un pays à l'autre, mais c'est également ce qui était dit qui différait d'un juif à l'autre. Une telle différence – de fond et de forme – était intenable à long terme. La prière, cet élément fondamental du service divin à ce point qu'il est nommé “le service du coeur” se devait de retrouver une certaine uniformité.
Prier en hébreu
“Lorsque les membres de la Knesset Haguedola (la Grande Assemblée) constatèrent cette terrible situation, ils se dirent : “Allons, marchons dans la lumière de notre D-ieu et offrons des sacrifices avec nos lèvres, nous, la congrégation, ainsi que toute la communauté. À cette fin, ils modifièrent la langue laborieuse dans laquelle les personnes priaient, pour retrouver une langue claire, concise, épurée, pure et authentique.
Cette langue était débarrassée de la souillure de la langue des étrangers, elle était simple et elle se prononçait d'une façon gracieuse. Cela permit à tous les juifs de prier en utilisant une langue commune.”
Nous apprenons ici l'importance de prier en hébreu. Si cette langue est appelée communément “lachone haqodech ” (“la langue sainte”), c'est parce que ses origines sont saintes, i.e. bibliques. Plus loin dans le sefer Aboudraham, il est écrit que chaque mot des prières trouve son origine dans la Bible. Cette particularité rend lachone haqodech incomparable aux autres langues dont l'origine se trouve dans l'histoire de chaque peuple.
C'est pour cette raison qu'il est possible de prier en hébreu, même si l'on ne comprend pas ce que l'on dit : l'origine sacrée de cette langue la fait “monter” au ciel d'une façon qu'aucune autre langue ne peut bénéficier. D'autre part, une personne peut choisir de prier en une autre langue – le français par exemple – aussi longtemps qu'elle comprend celle-ci.
En tenant compte de la réalité de notre exil présent – où la connaissance de la langue sainte est souvent déficiente – nous pouvons conseiller ceci : une personne qui est nouvelle dans le service des prières, pourra se sentir plus à l'aise si elle prie dans une langue qu'elle connaît. Que cette personne sache qu'elle peut s'adresser au Créateur dans la langue qu'elle préfère et que cela est admis par la halakha (loi juive).
D'autre part, pour bénéficier des avantages inhérents à la lachon haqodech (origine sainte, textes formulés par nos Sages, beauté inhérente de la langue…) on peut conseiller de se familiariser lentement à cette langue en utilisant un sidour (livre de prières) dans lequel les prières ont été traduites. En priant doucement et régulièrement, on apprendra ainsi le sens de chaque mot et il deviendra possible de prier – un jour ou l'autre – entièrement en hébreu, ce qui est dans tous les cas préférables. Il suffit de vouloir se donner le temps.
La spiritualité élevée de lachone haqodech procurera à la personne qui prononce ses prières dans cette langue un plaisir incomparable aux prières dites en français, anglais…
La prière du Chemone 'Esré
“Les membres de la Knesset Haguedola (la Grande Assemblée) se rassemblèrent et décrétèrent qu'il fallait prononcer chaque jour dix-huit bénédictions, trois fois par jour.”
La prière dont il est fait référence ici est le “Chemone 'Esré ” qui veut dire “dix-huit” en hébreu. Cette prière doit être prononcée par tous les hommes juifs âgés de 13 ans et plus, trois fois par jour (le matin, l'après-midi et le soir). Cette prière représente l'archétype de la prière et dans le Talmud, le Chemone 'Esré est simplement appelé “la prière”.
Comme son nom l'indique, le Chemone 'Esré contenait à son origine dix-huit bénédictions, auxquelles a été ajoutée une par la suite (la raison est expliqué plus loin dans le Aboudraham). Les lois qui concernent le Chemone 'Esré sont nombreuses et font l'objet d'une discussion détaillée plus loin dans le Aboudraham.
“Cependant, pour le Chabath, les trois festivals et Yom Kipour, il fut décidé qu'à la place des dix-huit bénédictions, il fallait en prononcer seulement sept. D'autre part, pour Roch Hachana, on décréta qu'il fallait dire également sept bénédictions pour les prières d''Arvith (du soir), de Cha'harith (du matin) et de Min'ha (de l'après-midi), tandis que pour la prière de Moussaf, neuf bénédictions suffisent. Pour les jours de jeûnes, il y a un total de vingt-quatre bénédictions à prononcer, mais seulement par le leader de la congrégation.”
La règle générale qui gouverne les prières du Chabath et des jours de fête est celle d'alléger le service liturgique habituel. Ceci pour deux raisons : le Chabath et les jours de fêtes, les personnes sont occupées à remplir leurs obligations familiales ; pour cela, il leur faut le maximum de temps de liberté. D'autre part, si la prière n'était pas allégée, les ajouts spécifiques au Chabath ou aux jours de fêtes la rendraient réellement trop longue pour la majorité de la population.
En addition des prières supplémentaires spécifiques aux jours de fête, le Chemone 'Esré lui-même inclut les mentions particulières de chaque jour (fête de Soukoth, Chavou'oth, Pessa'h…). Nos Sages ont apporté ces modifications dans le but de lier chaque fête du calendrier au juif à la prière majeure du service de D-ieu.
Penser à D-ieu… à toutes les occasions
“De nombreuses autres bénédictions furent décrétées, ainsi que d'autres prières. Grâce à elles, c'est tout le peuple d'Israël qui dispose maintenant de bénédictions spécifiques pour chaque occasion. De fait, chaque génération possède une langue claire, sanctionnée et authentique.”
Le Aboudraham fait ici référence à un principe fondamental du judaïsme : Hachem se trouve de partout et la tâche de chaque juif est de prendre acte de cette Présence divine et de lui accorder le respect qu'elle mérite. Dans le Liqouté Moharan (I : 1), Rabbi Na'hman nous rappelle que tout ce qui nous entoure possède une intelligence intrinsèque et qu'il est du devoir de chaque juif d'essayer de la trouver.
Ainsi, la multiplication des prières et des bénédictions à réciter dans différentes situations nous permet de montrer notre reconnaissance envers D-ieu et de Le remercier à chaque fois que cela est possible. De la sorte, nous affichons notre volonté de faire du moindre mouvement quotidien, un geste chargé d'un aspect spirituel.
Les prières dont il est question nous offrent la possibilité de “sentir” la présence d'Hachem à différentes occasion : lorsque nous entreprenons un voyage nous demandons à D-ieu de nous accorder Sa protection; lorsque nous avons régalé notre palais, nous remercions le Maître du monde de nous avoir accordé cette nourriture. Également, si nous entendons le tonnerre, nous rendons hommage à la puissance divine; un simple verre d'eau devient l'occasion de penser que le monde est gouverné par une autorité supérieure et qu'il est de notre devoir de montrer notre gratitude.
À suivre…
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