Au 13
ième siècle, un rabbin allemand incarna si fort la passion de la liberté qu’il fut enfermé dans une forteresse d’Alsace.
Une journée ensoleillée de juin 1242. Les commères, les boutiquiers, garçons de course, les soldats, les filles de plaisir, et les enfants pieds nus saluaient avec des cris l’apparition place de Grève de la procession des charrettes chargées de livres. Après avoir longé la Seine, les vingt-quatre charrettes étaient attendues par le bourreau en cagoule rouge, ses aides, le bûcher, l’archevêque de Paris avec son chapitre et un cortège de seigneurs habillés de frais, épée au fourreau, prêts pour un imaginaire combat.
A la tête de la procession marchait, les yeux mi-clos, un frère franciscain. “Je le reconnais, dit le tavernier du Poisson d’Or, c’est Nicolas Donin qui a obtenu du Roi Louis IX le brûlement des livres de Satan.”
(Représentation de Rabbi Meïr b. Baruch de Rothenbourg
sur un détail du Recueil Rothschild, Italie v. 1470.
Jérusalem, Musée d’Israël.)
Le premier Chabath de mars 1240, alors que les juifs étaient reclus dans leurs synagogues, le roi, sur dénonciation de Nicolas Donin, avait fait saisir les traités du
Talmud avant d’en faire un procès jugé d’avance.
La foule s’amusait, des moines et moinillons chantant des prières et entourant chevaux et charrettes. Enrobées dans leurs reliures de cuir noir, les pernicieuses paroles de la gente judaïque allaient devenir cendres et fumées.
Soudain, Nicolas Donin s’immobilisa. Là, au premier rang des badauds, un homme encore très jeune le fixait, pâle et la tête couverte. C’était Meïr ben Baroukh, né à Worms en 1215, un étudiant de Samuel ben Salomon de Falaise et de rabbi Yehiel ben Joseph, maître de cette yéchiva de Paris où lui-même se laissait enseigner le Talmud de Babylone. II n’était pas encore, en ce temps, Nicolas Donin, juif converti. Meïr comprit qu’il n’était venu que pour rencontrer le regard de l’apostat. C’était lui, Nicolas Donin, qui avait soutenu l’accusation contre la Loi Orale défendue farouchement par rabbi Yehiel et d’autres maîtres.
Le frère franciscain eut un moment d’hésitation, remua les lèvres et détourna la tête. Meïr sut que plus jamais Nicolas Donin n’oublierait ces badauds, ces rires, cette épaisse fumée s’élevant des livres à noire reliure et prônant la liberté et la justice pour chaque homme. Plus jamais.
Lorsque quarante ans plus tard, Nicolas Donin fut chassé pour hérésie de l’ordre des Franciscains, il rêva pendant des nuits des flammes de la place de Grève, des flammes blanches et noires à formes d’anges et de dragons.
Meïr ben Baroukh, dès qu’il fut rentré de l’autodafé écrivit une élégie, Chaali seroufa ba-ech : “Intercédez, ô vous, consumés par le feu, pour la vie de ceux qui portent votre deuil…”. L’élégie figurera dans le rituel du 9 Av, Tich’a be-Av.
Reproduit avec l’aimable autorisation de “Judaïsme d’Alsace et de Lorraine.”
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