Universalisme et judaïsme
Le judaïsme n'est pas un culte particulariste : il inclut dans sa doctrine une vision pour les non juifs et il n'envisage pas comme situation idéale la conversion de ces derniers.
Nous vous conseillons de lire l'introduction à cette série d'articles qui décrit la pensée du Rav Elie Benamozegh.
Si le judaïsme n'est pas un culte particulariste, c'est qu'il inclut dans sa doctrine une vision pour les non juifs et qu'il n'envisage pas comme situation idéale la conversion de ces derniers. Contrairement aux autres religions, le judaïsme n'a jamais cherché à convaincre qui que ce soit, et encore moins à coup de bâton ou de revolver.
Si les valeurs du judaïsme sont universelles, il faut tout d'abord en prendre connaissance ; ensuite, il faut admettre que le judaïsme ne peut se passer d'être universel. Soyons clairs : il n'y a pas de judaïsme autre qu'universel. Les juifs qui pensent qu'un monde dans lequel tous les juifs étudieraient la Tora – sans se soucier du reste du monde – serait un monde parfait, ignorent un pan entier et combien important de leur Bible. D'autre part, les non juifs qui croient n'avoir aucun lien avec la Bible et les juifs méconnaissent la raison pour laquelle le Créateur les a mis au monde. Si nous pouvons déclarer que les valeurs du judaïsme sont universelles, c'est que ses valeurs ont été proclamées au Mont Sinaï et qu'il ne s'agit en aucune façon d'un ajout récent. Il est ironique d'entendre ceux pour lesquels la religion et l'idée de D-ieu rendent mal à l'aise, affirmer l'importance de valeurs universelles. Qu'il s'agisse de la dignité humaine, “fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde” (Charte de l'ONU) ; des enfants et de “l'intérêt supérieur [qui en fait] une considération primordiale” (Droits des enfants – UNICEF) et des autres valeurs que le monde devrait partager, toutes ces valeurs sont apparues avec la Bible.
À y réfléchir, cela n'est pas surprenant. Qui pourrait sur terre prétendre avoir une vision tellement profonde et puissante qu'il pourrait décréter ce qui représente le bien ultime de l'humanité ? De fait, l'histoire nous montre que chaque époque, chaque culture, chaque pays, tend à vouloir imposer sa vison du monde… jusqu'à ce qu'une nouvelle puissance apparaisse et prône à son tour une vision prétendument universelle. Ainsi, au “rien de nouveau sous le soleil” biblique, s'oppose l'éternel renouvellement de valeurs pour chaque génération. Il y a un siècle, les “chartes universelles” et autres “déclarations de principe” n'existaient pas. Qu'en sera-t-il dans un siècle ? Quelles nouvelles valeurs “universelles” auront-elles proéminence ? La description du judaïsme et de ses valeurs prendrait plusieurs milliers de pages d'écriture. Ces idées sont sur terre depuis plusieurs milliers d'années et méritent d'être étudiées avec sérieux. De fait, la plupart des déclarations de principes universels (ONU, UNICEF…) puisent à la source biblique. Si ces idées sont censées s'adresser à l'ensemble de l'humanité, leur intérêt n'en est que multiplié.
Voici le paradoxe millénaire auquel nous faisons face : une religion réputée pour sa misanthropie, pour son amour de la séparation et pour le secret de ses rites et en fait une religion dont l'essence même est cosmopolite. Le fait d'avoir “accouché” des deux religions les plus importantes du monde actuel – le christianisme et l'islam – n'est certes pas anodin. Ce paradoxe fait suite au plus grand détournement spirituel de l'humanité : celui effectué par l'Église de Rome qui a répandu à force coup de Croisades l'idée d'universalisme, au point d'en être considérée comme la mère. Ne soyons pas mal compris : nous sommes enchantés de constater que grâce à l'Église, certaines valeurs morales ont atteint des régions du monde où elles étaient auparavant entièrement étrangères. Entendre réciter les Psaumes du Roi David dans chaque continent du monde ne peut que ravir le cœur des juifs. Considérer les planètes pour ce qu'elles sont plutôt que pour des divinités est un progrès qu'il faut apprécier à sa juste valeur. Cependant, lorsque le crédit est donné à la mauvaise personne, il faut s'insurger. L'élève qui répète la leçon de son maître n'est pas plus sage que ce dernier. À plus forte raison si la leçon est déformée, modifiée et qu'elle adopte des principes que le maître renie.
La question se pose ainsi : le judaïsme étant universel, pour quelle raison le monde n'en a retenu jusqu'à ce jour que son aspect sectaire ? Afin de répondre à cette question, nous ferons appel à l'histoire : celle des hommes et celle de la doctrine juive. Tout d'abord l'histoire des hommes. Il n'est pas facile d'échanger de grandes idées lorsqu'on vous frappe. L'histoire du peuple juif est remplie d'actes vils dont les juifs ont été victimes, de pogroms et autres drames qui ont culminés avec la Choah. Dans ce contexte, qui peut prétendre avoir tendu une oreille attentive à ce que disaient les juifs ? Qui peut laisser croire qu'il était désireux de connaître la véritable nature du message de la doctrine de Moché (Moïse) ? Cependant, un regard sincère sur cette doctrine permet de constater qu'elle est destinée à deux groupes de personnes:
1) Un groupe restreint – les prêtres – qui ont la responsabilité d'assurer le service de D-ieu sur terre. Ce groupe, ce sont les juifs. Le nombre et la nature de leurs commandements ne leur permettant de les compromettre, il était indispensable – vital – que ce groupe se sépare d'une société hostile. Quelque fois, la retraite assure la survie.
2) L'autre groupe est celui de reste du monde. Pour celui-ci, sept mitswoth (commandements bibliques) ont été données ; en les respectant, chaque non juif tient le rôle que le Créateur du monde lui a accordé. Ces sept mitswoth n'ont pas été rajoutées à la doctrine – plusieurs siècles après le don de la Bible au Mont Sinaï – par un “prophète” quelconque : elles font partie intégrante de l'héritage divin que le monde a reçu par la Volonté divine.
Si tel est le cas, nous pouvons nous interroger sur la véritable nature de cette nouveauté. Quoi, le monde aurait ignoré aussi longtemps cette évidence ? Personne n'aurait pointé du doigt cette vérité infaillible ? La vérité est simple à dévoiler : il ne faut pas toujours faire confiance aux nouvelles doctrines pour qu'elles rendent hommage à leur mère. La scission étant à la base d'une opposition, admettre ses racines est l'équivalent d'un propre désaveu. La barre est placée trop haut et il n'y a personne pour la franchir. Le drame est qu'il n'y ait également personne pour dénoncer cette situation. Ce que le monde connaît du judaïsme est ce qu'il en a entendu du christianisme et de l'islam. On peut douter que les enfants rebelles possèdent l'impartialité nécessaire pour en dresser un tableau neutre et véridique. Lorsque cette situation est aggravée par l'absence de possibilité réelle de la source d'émettre son propre message, le mur de l'ignorance se dresse, tel un obstacle infranchissable.
Prenons le concept de l'infaillibilité. Pour l'Église catholique, l'infaillibilité pontificale représente un dogme selon lequel le pape ne peut se tromper. Ce qui est dit a été dit et la vérité ne saurait bouger d'un pouce. Admettons avec modestie une telle doctrine. Après tout, une personne qui parviendrait à établir un lien fort avec D-ieu pourrait être assurée de ne dire que la stricte vérité. Mais quoi, D-ieu ne serait pas infaillible ? Après avoir donné le Chabath, Il se serait trompé ? Après avoir décrit – avec moult détails – les règles alimentaires des animaux à consommer – ainsi que ceux qui ne doivent pas l'être – Il admettrait son erreur et permettrait la consommation de tout animal ? Si le concept d'infaillibilité doit être appliqué, il devrait l'être avant tout à D-ieu. Par la suite, éventuellement, pourrions-nous penser à l'appliquer à l'homme. C'est sans doute pour cela qu'il n'existe point de concept d'infaillibilité dans le judaïsme. Le seul à l'être, c'est D-ieu. Vraiment.
Si le judaïsme n'est pas un culte particulariste, c'est qu'il inclut dans sa doctrine une vision pour les non juifs et qu'il n'envisage pas comme situation idéale la conversion de ces derniers. Contrairement aux autres religions, le judaïsme n'a jamais cherché à convaincre qui que ce soit, et encore moins à coup de bâton ou de revolver. Certes, les lois qui concernent les juifs sont gardées jalousement à l'abri des influences extérieures. Cela est la garantie que ce peuple de prêtres pourra continuer à assurer son rôle, dans toutes les situations et même dans celles où le monde l'ignore totalement. D'autre part, les non juifs ne sont pas exclus de la Tora : ils doivent respecter – idéalement – les sept commandements qui les concernent : les lois noahides. De la sorte, il n'existe pas un seul individu sur la terre qui puisse se sentir rejeté. Tout au plus, si certains étaient les victimes d'un sentiment de jalousie envers le rôle de prêtres tenu par les juifs, ils pourraient toujours devenir juifs eux-mêmes. Cela n'est certes pas conseillé, mais la possibilité existe.
Cette vision universelle du rôle de chaque individu est exactement à l'opposé de la vision du christianisme et de l'islam. Pour ces deux religions, l'homme accompli est celui qui se converti : “Hors de l'Église, point de salut !” Ainsi, la porte est ouverte à tous les abus, à tous les coups de force. Peu importe que le cœur de ceux qui sont convertis s'oppose à cette croyance : c'est l'existence même de l'Autre qui est un rejet de soi et à ce titre, il doit être combattu, battu, abattu. Au passage, c'est la notion d'universalisme qui a été oubliée. Pour certains, l'universalisme est une couverture sous laquelle se trouvent la violence et la haine de la différence.
Entrons dans un autre monde : celui de la doctrine de Moché (Moïse). La véritable. Ici, point de combat, point de lutte. Vient qui veut et surtout, qu'il vienne avec son cœur. Un mari dirait-il à sa femme qu'il l'aime en pensant à une autre : sa parole ne serait pas acceptée et à raison ! Et D-ieu là-dedans ? Croirait-Il celui qui Lui déclare sa flamme sous le feu ? Sous la menace ? À vouloir le bien de l'Autre, on se ménage la Colère divine. Ceux qui ne le comprennent pas cherchent encore la raison de leur échec spirituel. Quant aux autres – ceux qui sont venus bien après – ils paient le fait de ne pas lire les livres d'histoire : on recule de plusieurs siècles et les Croisades reprennent de plus belle avec les moyens de notre siècle, évidemment.
Les siècles d'échec, le nombre de combats perdus et la faible estime qu'ont les populations des deux plus grandes religions dans le monde devraient nous amener à réfléchir. Si les copies ont raté leur objectif, sont-elles les fautives ou s'agit-il de l'original qui est vicié au départ. Lorsqu'un élève-peintre ne parvient pas à la hauteur de son maître et que ses tableaux n'obtiennent pas l'unanimité, remet-on en cause les qualités du maître ? Lorsqu'un homme de religion ne tient pas compte des paroles de D-ieu, peut-on pointer du doigt Celui qui nous a créés ? Admettons que cela est souvent le cas : l'original est bien meilleur que la copie. La source possède plus de vigueur que les ruisseaux. Faut-il encore se donner la peine de lire l'original, de vouloir plonger dans la source. On y découvrirait des vérités cachées et tues depuis des millénaires; des vérités et des idées nouvelles qui mettraient à mal ceux qui depuis si longtemps se sont accaparé le rôle de prédicateurs.
Rendons à César ce qui lui appartient : le christianisme et l'islam ont rendu un grand service au monde. Ils ont propagé l'idée d'universalisme, même s'ils l'ont mal utilisée. Grâce à ces deux religions, des millions d'individus ont été sensibilisés à l'idée de valeurs communes que l'humanité doit partager. Il s'agit d'un travail considérable qui a été accompli. Des millions de personnes savent que le Créateur existe et qu'Il a établi certaines règles. Nous ne saurions qu'adresser nos remerciements chaleureux à toutes les personnes qui ont participé à cette tâche gigantesque. Cependant, là s'arrête l'avancée. Il ne faut pas hésiter à déceler les contournements intellectuels. Lorsque la vérité à été mise à l'écart, au profit d'un bas intérêt, nous le dirons. Notre souci est de rester le plus proche possible de la parole de D-ieu et pas de celle que nous aurions aimé qu'Il dise. Si nous analysons – sans préjugés – la doctrine de Moché, nous constaterons que le monde a déjà parcouru une bonne partie du chemin pour se rapprocher de la volonté d'Hachem. Il est sans doute temps de revenir sur les erreurs de parcours, même si ces dernières ont une existence vieille de plusieurs siècles. Il ne s'agit pas de renier ce qu'on nous a enseigné; plutôt, il s'agit de l'adapter pour que cela corresponde réellement à la volonté de D-ieu.
À suivre…
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