Religions : une entente possible
Le christianisme qui pensait ne pouvait exister que sur les cendres du judaïsme accepte maintenant la présence des juifs aux côtés de celles des chrétiens.
Nous vous conseillons de lire l'introduction à cette série d'articles qui décrit la pensée du Rav Elie Benamozegh.
Notre position est double. D'abord, ne pas oublier les discordes, les malentendus et autres déchirements qui ont parsemé l'histoire des relations entre juifs et chrétiens. Le devoir de l'histoire n'est pas une vaine expression, surtout lorsqu'on tient le rôle de la victime. Sous le couvert de l'universalisme chrétien, les juifs ont été persécutés et tués pendant trop de siècles pour aborder les relations avec l'Autre sans un minimum de précaution. Cependant, cette dernière ne doit pas devenir une appréhension à la discussion, à la réflexion. Si la main est tendue aux juifs, ils doivent la saisir sans hésitation. Il en va de leur destin !
C'est précisément cet aspect qui représente l'autre composante de notre attitude. Le juif et le chrétien partagent la même racine : celle d'un D-ieu compatissant et dont le but ultime est la paix entre les peuples, en Son Nom. Tel un couple qui doit réfléchir et analyser ses différences, ses malentendus, les juifs et les chrétiens commettent une erreur s'ils désirent imposer leurs vues sur l'autre. Un mari essaierait-il de persuader sa femme à coup de trique qu'il aurait peu de chance d'y parvenir.
Au mieux, il pourrait espérer une attitude craintive et soumise de sa femme, mais dénuée d'amour et d'appréciation. Avons-nous besoin d'expliquer les défauts d'une relation de ce type ?
En fait, il y aurait un grand avantage pour le christianisme à se tourner vers les juifs afin de les écouter. Ce véritable “retour aux sources” serait bénéfique non seulement pour le dogme chrétien, mais également pour les populations qui lui accordent de l'importance. Si l'égarement historique de l'Église envers ses frères juifs semble avoir entamé une nouvelle période – caractérisée pas une volonté sincère de s'en rapprocher – c'est sans doute qu'on a relevé que les Écritures elles-mêmes le réclament.
D-ieu peut-Il désirer réellement que le scion se rebelle contre Ses propres enfants ? La logique ne voudrait-elle pas mieux qu'on recherche les points communs, la destinée commune ?
De plus, nous constatons que les populations d'aujourd'hui attendent ce retour vers “plus de vérité”, “plus de sainteté”. À trop vouloir diluer, on perd la saveur. S'il est périlleux de vouloir donner une seule raison aux maux de notre génération, on peut cependant s'avancer en disant que le manque général de sentiment religieux est un facteur aggravant – principal ? – des difficultés auxquelles font face de nombreuses populations.
Qui peut nier aujourd'hui que la crise des valeurs de la famille, du respect mutuel, de l'amour de son prochain est un mal profond qui commotionne les jeunes… ainsi que leurs parents ? Or, toutes ces valeurs trouvent leurs origines dans la Parole divine qui les a souhaitées. Avant le Mont Sinaï, point de famille véritable, de respect de l'Autre…
Un bref aperçu de l'attitude historique de l'Église envers le judaïsme nous montre que ce chemin caractérisé par la réflexion a déjà était emprunté : nous sommes loin de la condamnation d'Israël, de l'abolition de la Loi de Moché (Moïse). Le ton a changé, nous pensons que les intentions aussi. Citons pour exemple la figure de Judas au Moyen Âge. Celle-ci se situe dans le cadre de l'antijudaïsme du temps.
Le ton utilisé à l'époque pour dénoncer les juifs ne fait plus partie du langage actuel de l'Église. Celui-ci est empreint d'une volonté de vouloir comprendre, écouter et accepter les différences entre les deux croyances.
Cette évolution dans le discours et dans la pensée s'explique sans doute par une prise de conscience : la pensée d'origine – selon laquelle le christianisme ne pouvait exister que sur les cendres du judaïsme – a fait place à une nouvelle perception qui accepte la présence des juifs aux côtés de celles des chrétiens. On pourrait nous rétorquer qu'il s'agit là d'une résignation plutôt qu'un véritable désir d'embrasser les différences. Nous ne sommes pas dupes.
L'Église elle-même ne cache pas sa volonté de vouloir faire de tout juif un “bon chrétien”. Cependant, nous pensons que la force de l'histoire ne réside pas seulement dans sa connaissance, mais également dans sa capacité à modifier les mentalités. Certes, le processus est lent et les occasions innombrables de vouloir bousculer le cours des choses. Mais la patience a ses vertus. Avant de tendre la main, ne faut-il pas le désirer ? Il serait naïf de croire que deux millénaires de pensée peu avenante peuvent s'effacer en quelques décennies.
Constatons simplement que la main qui a frappé pendant si longtemps reste aujourd'hui dans son fourreau. Demain elle pourrait en sortir pour s'ouvrir. Il suffirait que les avantages d'une vie en commun deviennent plus évidents à tous.
Car telle est bel et bien notre conviction : les deux religions les plus anciennes du monde ont tout à gagner à vivre ensemble. Cette vie commune ne doit pas être celle d'un couple qui se résigne à faire vie commune par la force des choses. Notre vision du monde est simple : celle d'une famille dont le Père (D-ieu) a un premier-né (Israël, les juifs) à qui Il confie le service religieux ; il existe également d'autres enfants (les non juifs) à qui le Père demande de respecter les règles de la maison (les sept mitswoth de Noah).
Ainsi, ceux qui sont destinés au service divin doivent vivre en fonction de ses lois et vouer leur vie à en étudier ses lois. Ceci explique la raison pour laquelle l'étude de la Loi a toujours été une activité naturelle pour le peuple juif. D'autre part, ceux qui n'ont pas à participer d'une façon directe au service religieux sont régis par un nombre moins important de commandements. Leur vie peut se concentrer sur ce qu'ils désirent, à condition qu'ils respectent les quelques lois qui permettent une vie commune harmonieuse.
Prévenons les sceptiques : il est inutile de crier à la discrimination. Une personne non juive sentirait-elle en son for intérieur un désir ardent de servir D-ieu à la façon dont les juifs le font, elle pourrait toujours se convertir et devenir membre du peuple du livre. L'histoire montre cependant que les candidats sérieux sont généralement peu nombreux. Notre vision du monde peut sembler étonnante, mais elle possède un avantage certain : elle correspond à ce qui se trouve dans les Écritures. En fin de compte, n'est-ce pas là la preuve irréfutable de son bien-fondé ?
Certes, nous sommes encore loin d'une telle entente. Pourtant, il nous semble qu'en faisant un minimum d'effort, l'objectif peut se révéler bien plus facile à atteindre qu'on peut le penser. La pierre angulaire sur laquelle nous devrions nous entendre est celle de la révélation unique. De quoi s'agit-il exactement ? Que D-ieu ne peut pas se tromper et renier l'Alliance sacrée qu'Il a déjà passée avec le peuple juif.
Admettre le concept de la révélation unique permet également de se prémunir contre l'apparition – les unes après les autres – d'une suite sans fin de nouvelles religions, de nouvelles apparitions. Avant-hier le judaïsme, hier le christianisme, aujourd'hui l'islam… et demain ? Entre la difficulté logique d'apposer l'idée “d'erreur” à D-ieu et l'impraticabilité de l'admission de nouvelles religions, nous aurions tout intérêt à revenir à une lecture plus sage et plus vraie des Écritures.
Qu'on y réfléchisse : la notion de “cassure”, de “changement de cap” peut-elle s'appliquer réellement au Créateur du monde ? Il n'est pas question ici de nier la possibilité d'un ras-le-bol divin envers les juifs. Le péché du veau d'or l'a montré : n'eût été l'insistance de Moché (Moïse), D-ieu aurait effacé les juifs de la surface de la terre pour… les rétablir immédiatement à travers Moché !
Tel est le constat d'une lecture simple de la Bible. Si les individus peuvent provoquer la colère divine, ce qui est cher à D-ieu – le Chabath, les règles alimentaires spécifiques, … – ne peut pas dépendre des faits et gestes des mortels. À l'idée d'un D-ieu qui paraîtrait que trop indécis, n'est-il pas plus logique de réfléchir à l'idée d'une certaine forme de continuité entre les peuples ? L'apologétique chrétienne n'a jamais convaincue que les chrétiens. Si vouloir rassembler est certainement une vertu louable, le reniement devrait être mis au placard.
Notre volonté est de démontrer que :
1) Le judaïsme n'est pas une religion sectaire qui s'adresse à un nombre réduit de personnes, mais qu'il s'agit plutôt d'une religion dont la portée est universaliste. Le judaïsme propose ainsi un monde divisé entre les prêtres – le peuple juif – et les non prêtres – les autres peuples. Répétons-le : point de discrimination dans cette doctrine. Celui ou celle qui désirerait devenir prêtre le peut, sans le moindre doute.
2) La vision juive du monde n'a jamais été approchée que de très loin. L'apparition du christianisme a entrainée avec elle un sentiment de rejet du peuple juif, ce qui a interdit toute étude sérieuse de la doctrine de Moché. Pourtant, c'est en mettant en pratique ce qui se trouve dans les Écritures que nous atteindrons le but que le Créateur nous a fixé à tous : une vie harmonieuse entre juifs et non juifs et dans laquelle chacun tient le rôle qu'il désire, qui lui convient.
Notre réflexion se divise en trois parties :
1) D-ieu, Sa nature, Ses particularismes. Dans cette première partie, nous aborderons les concepts du D-ieu Un et Unique. Également, nous expliquerons les raisons qui rendent ce D-ieu universel et opposé à l'idée d'un D-ieu nationaliste.
2) L'homme, son identité, son rôle. Dans cette partie, nous retracerons la spécificité de l'homme et la conception juive du progrès (intellectuel, religieux…). Nous démontrerons en quoi l'homme et une pièce indispensable au monde et que les rapports en juifs et non juifs doivent avoir comme but ultime de servir D-ieu.
3) La Loi juive, les noahides, leurs spécificités, leurs champs d'application… Dans cette partie, nous exposerons les grandes lignes de la Loi : son unité et son universalité; ses lois mosaïques et noahides. Nous aborderons également les concepts de religion et d'État : la place du sacerdoce, du prophétisme et de la royauté.
À suivre…
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