Eternellement jeune

J'avoue que ce n'est pas facile, mais il faut absolument préserver un esprit jeune, ne pas être vieux dans sa façon de penser, de voir le monde...

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Sharon Rotter

Posté sur 05.04.21

Au fil des années, j'ai traversé quelques changements fondamentaux dans ma vie. Le premier fut de passer de mon statut de célibataire à celui de femme mariée et puis, surtout, de maman.

J'avoue que la transition n'a pas été facile pour moi. Rien que de m'habituer à l'idée m'a pris quelques bons mois, et quelques années pour l'intégrer dans mon esprit et dans mon corps. Ce changement a influé sur mon identité et mon essence de façon globale, au point que mon mari me demandait, à chaque occasion, où est-ce que j'avais caché la femme qu'il avait épousée… Je crois que jusqu'à présent, il porte un peu le deuil de cette Sharon qui s'est perdue un jour, et essaie de s'habituer à l'autre Sharon qui a pris sa place –mature, sérieuse et les épaules suffisamment larges pour soutenir sa nouvelle famille.   

Le second changement que j'ai traversé a été, évidemment, ma techouva (mon retour à la religion). Contrairement à notre passage de jeune couple à parents qui s'est fait en un jour, ce changement là s'est fait progressivement et lentement, et grâce à D.ieu, nous avons eu le mérite de le vivre ensemble, en harmonie et dans un sentiment d'unité.

Il semble que le processus de techouva soit un changement radical qui secoue la personne et la transforme du tout au tout. En effet, il y a le changement extérieur que l'on remarque d'un coup d'œil –dans la façon de s'habiller-, un autre que l'on entend –la façon de parler et de s'exprimer-, et aussi le passage à un autre mode de vie –avec l’observance du Chabat, des lois de cacheroute etc., mais tout cela est très différent du changement essentiel qu'implique ce processus.

L'essence du changement et de la transformation se passe justement dans la façon de penser et dans l'esprit, c'est quelque chose de très particulier et personnel qui se fait graduellement et n'appartient qu'à soi.

Bien entendu, c'est parfois aussi lié aux autres. Par exemple, quand vous essayez d'être moins cynique et blessant, ou d'honorer vos parents d'une manière dont même eux n'auraient pas besoin ou voulu qu'on les honore (comme le fait de ne pas s'asseoir à leur place, chose qui fait toujours beaucoup rire mon père), ou quand vous vous abstenez de commérages ou de faire du lachon hara (mauvaise langue) au point que certaines de vos amies ne veuillent même plus bavarder avec vous au téléphone, ou encore, quand on ne peut plus organiser de réunions familiales le Chabat et que tous se voient contraints de fixer des moments qui ne les arrangent pas forcément pour pouvoir se retrouver…

Mais le plus douloureux et le plus difficile pour moi, c'est la nourriture. Par exemple, le fait de dire à ma grand-mère qu'elle ne peut pas m'inviter à manger chez elle et de devoir parcourir tout Tel Aviv avec elle pour trouver un restaurant cacher, c'est le pire de tout, et à chaque pas supplémentaire que nous faisons ensemble, je ressens comme quelque chose qui se brise en elle, et en moi, une grande peine pour la douleur que je lui cause sans le vouloir.     

Mais pour tout ce qui ne touche pas aux autres, le changement d'idée qu'implique le fait de reconnaitre l'existence de D.ieu modifie l'essence même de la façon dont on perçoit le monde. Soudain, des choses qui n'avaient pas de sens pour vous deviennent importantes, comme l'amour de la terre d'Israël et la volonté d'y habiter et de la peupler. Soudain, vous vous sentez profondément lié à cette terre et vous vous inquiétez d'elle comme de votre propre famille.

De façon générale, une autre hiérarchie se met en place dans l'ordre de vos priorités, où les sphères s'élargissent de la plus proche à la plus éloignée, et il devient clair –sans l'ombre d'un doute- que les pauvres de votre ville sont prioritaires et que les sentiments de pitié et de miséricorde pour les autres peuples occupent les sphères les plus éloignées.

Je n'ai pas grandi dans une maison traditionnaliste ou séfarade, donc tout le concept du mauvais œil ou de la protection est une grande nouveauté pour moi. Parfois, ça me travaille, et parfois, ça me fait rire, surtout quand je me retrouve à dire à mes enfants qu'ils sont moches pour ne pas leur porter l'œil ou que je murmure ben porat Yosef à longueur de journée…

Mais le summum pour moi, c'est de me voir, chaque jour, allumer des bougies en mémoire des Tsadikim (sages). A l'époque, je ne savais même pas ce qu'était un Tsadik ni qui ils étaient, je ne me souviens même pas avoir vu une photo du Baba Salé. Quant au fait de pouvoir allumer une bougie, demander et prier, je l'ignorais totalement. Pourtant, aujourd'hui, il y en a toujours une qui brûle chez moi, dans le petit coin de kedoucha (sainteté) que je me suis fait, avec des photos de sages, des bénédictions, des livres de prière, toutes sortes de bougies, des bougeoirs et des psaumes.

J'essaie de regarder en arrière et de revoir la jeune fille que j'étais. J'avais énormément d'opinions sur des tas de sujets. J'étais perspicace, intelligente et sensible. J'avais mon point de vue sur le monde, j'avais certaines valeurs et un système de définitions et de priorités. La vérité, c'est que je n'ai pas trop d'efforts à faire pour m'en souvenir parce que j'ai encore beaucoup d'amies qui sont toujours ce que j'étais alors, il me suffit d'un léger coup d'œil pour me revoir parmi elles.

Mais aussi cocasse que le fait d’être devenue marocaine puisse paraitre (sous la généreuse et douce influence de mon mari et sa famille), je suis heureuse du changement que j'ai traversé, une transformation profonde de perspective qui a également entrainé un changement extérieur.

Je me sens connectée à la vérité, heureuse des choix que j'ai faits et que je continue à faire, m'efforçant de ne blesser personne, sans m'excuser pour autant de ce que je crois être juste.

Ce monde est plein de dimensions que nous ne ressentons pas ou que nous ignorons. Le labyrinthe de notre vie a une dimension personnelle mais aussi une autre plus générale, qui nécessite une certaine implication et un ordre de priorités.

Nous recherchons tous le bien, la considération, la bonté et la paix. L'objectif reste le même, mais le moyen pour l'atteindre est différent. Il y a énormément de paramètres et la complexité du choix n'est pas évidente.

D'un côté, le fait de changer nous fait peur et c'est aussi très difficile, mais je ne renoncerais pour rien au monde aux changements que j'ai opérés dans ma vie. Pourquoi ? Parce que c'est uniquement grâce à eux si je bouge, je progresse, je grandis, j'apprends, je m'améliore et je me renouvelle. Et surtout, je m'abstiens d'être vieille, pas dans l'âge, mais dans la façon de penser, comme quelqu'un qui est bloqué et refuse de bouger d'un millimètre de peur que le monde ne lui tombe dessus, D.ieu préserve.

C'est pourquoi je prie et j'espère que je réussirai à changer encore, toute ma vie, et à rester éternellement jeune.

Traduit de l'hébreu par Carine Illouz

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