Les usages de Tou Bichevat sont variés et charmants. Vous en connaissez tous, chers amis, de forts appétissants, mais lorsqu'on parcourt les siècles et les pays, on s'aperçoit bien vite alors, que l'estomac seul n'est pas exclusivement à l'honneur en cette journée de Tou Bichevat.
Bien entendu on mange des fruits, c'est là une occupation fort nourrissante et qui n'est pas dépourvue de plaisir. Mais combien de différentes espèces a-t-on l'habitude de présenter à nos appétits ? Certains osent prétendre que 15 sortes différentes de fruits sont suffisantes. Heureusement que d'autres rabbins sont plus exigeants : le chiffre en effet monte rapidement selon les opinions jusqu'à cinquante ou même cent.
Nous n'irons cependant pas prétendre que ceux qui mangent uniquement les sept fruits spécifiques à la Terre d'Israël agissent de la sorte, parce qu'une recommandation rabbinique conseille d'étudier à
Tou Bichevat autant de chapitres de la
Michna, que nous avons mangé de fruits. En tous cas le problème se pose très sérieusement pour les candidats à la centaine fruitée, parce que les appétits ne sont pas toujours directement proportionnels aux facultés intellectuelles…
Sachons bien en tous cas, que les festivités de Tou Bichevat n'ont jamais, au grand jamais, constitué des séances égoïstes de goinfreries. D'abord, dans beaucoup de pays, l'usage exigeait que les fruits soient présentés sur des assiette individuelles décorées avec goût, et les pauvres avaient toujours leur place à table, et certaines localités réunissaient la veille de la fête les plus fortunés de la communautés qui votaient un budget spécial afin de permettre à leurs frères plus malchanceux en affaire de célébrer également avec dignité et générosité le 15ième jour du mois de chevat.
On envoyait aussi des “
'hamich'osser”, des colis de fruits ainsi nommés parce qu'en hébreu comme vous le savez, 15 se dit “
'hamicho 'osser” et à force de répéter le même mot et les mêmes gestes tous les ans, un nouveau substantif fut rapidement forgé.
Un fruit continue à être particulièrement honoré ce jour-là. Il s'agit, du cédrat, de l'“etrog” qui fut soigneusement confit au lendemain de la fête de Soukoth, et qui fait les délices des fins palais.
À Salonique on attachait beaucoup d'importance aux fleurs, dont les multiples guirlandes multicolores paraient les tables et toutes les pièces de l'appartement. En Syrie, c'est la verdure et les herbes qui prenaient la première place dans l'art décoratif (que penseriez-vous d'un bouquet d'épinards avec quelques petites carottes, un beau choux-fleur et de vigoureux poireaux ?).
Aux Indes, Tou Bichvat – quand la communauté juive existait encore en tant que telle, et cette remarque, hélas, est valable pour la plupart des pays que nous mentionnons ici – est réservé au prophète Élie. La cérémonie au cours de laquelle on fait brûler de l'encens sur un gâteau de riz sucré et parfumé, prend une certaine gravité, et c'est en silence, comme si tout le monde attendait la venue imminente du Messie, que les membres de la famille se partagent les fruits de Tou Bichevat.
Heureusement des considérations plus joyeuses nous sont fournies par l'usage mystique, né sans doute à Safed, et qui voulait que sur la table de Tou Bichevat figurent au moins deux espèces de vins. Du blanc “qui symbolise le sommeil, la chute des feuilles et l'affaiblissement du soleil qui commence le 15 du mois d'av ; et du vin rouge qui, au contraire, désigne le bourgeonnement, la floraison de la plante, la poussée de la sève, la force nouvelle du soleil qui apparaît le 15 chevat.
Puissance de la nature, le froid et le chaud, l'hiver et l'été, entre autres symboles, luttent l'un contre l'autre jusqu'au triomphe du rouge – il s'agit toujours du vin bien entendu – le règne du printemps commence alors sur le monde.”
N'oublions pas de mentionner la pieuse coutume qui permettait à tous les indigents de se nourrir dans la joie, l'allégresse et l'opulence auprès des familles aisées à Tou Bichevat. Certaines offraient mêmes à leurs hôtes, répandues dans un grand sac garni de fruits, 91 pièces d'or (valeur numérique de Ilan = arbre). Ah, où sont les neiges d'antan !
À Alger, tout le mérite revient à un seul homme et à ses fils qui longtemps ont perpétué le geste de leur père. Dans la maison familiale, les plus beaux fruits de toute l'année, surtout ceux qui nécessitaient des soins minutieux pour les conserver jusqu'en chevat, étaient entreposés – après des achats quotidiens – dans les greniers et les caves.
Quelques jours avant le 15 tous les rabbins et les étudiants particulièrement méritants étaient invités à partager le dîner de
Tou Bichevat : le soir venu chacun des assistants mangeait un fruit à tour de rôle, faisait la bénédiction et lisait l'un des passages d'un livre consacré à
Tou Bichevat, le “
Peri Etz Hadar”.
Quand l'opuscule était terminé et les hôtes repus, tous chantaient la prière de Ma'ariv, et au moment du départ chacun recevait un grand sac bourré de fruits, et quand les étudiants pauvres avaient épuisé les provisions, ils trouvaient toujours tout au fond du sac, quelques pièces d'argent !
Damas enfui… En cette ville, Tou Bichevat est la fête des futurs mariés… En effet, le fiancé accompagné de son père achetait une bague ou un bracelet en or ou en argent, de jolies fleurs et un grand panier des meilleurs fruits. Les fleurs étaient envoyées à l'épousée par le chamach (bedeau) de la communauté, puis le 'hatan (fiancé) accompagné de son père auquel s'étaient joints de nombreux amis du jeune homme se rendait auprès de sa dulcinée : là tous les assistants avaient droit à un grand festin.
Au dessert, le cadeau était offert à la jeune fille qui le faisait admirer par tous ses invités, puis le panier de fruit occupait la place d'honneur à la grande joie de toute l'assemblée. On n'oubliait pas de chanter les “birkath hamazon” (les bénédictions suivant le repas), et enfin le café était le signal du départ… et de la fin de cette rubrique.
Reproduit avec l'aimable autorisation de “Judaïsme d'Alsace et de Lorraine.”
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