Ma vie, ma story

Lorsque je me suis lancée comme indépendante, il y a environ vingt ans, les règles du jeu étaient complètement différentes de ce qu’elles sont aujourd'hui. A l’époque, on prenait un conseiller en rela

3 Temps de lecture

Sharon Rotter

Posté sur 15.03.21

Tous les entrepreneurs et les indépendants savent que dans la réalité du marché des entreprises aujourd’hui, le marketing fait partie intégrante des affaires. Lorsque je me suis lancée comme indépendante, il y a environ vingt ans, les règles du jeu étaient complètement différentes de ce qu’elles sont aujourd'hui. A l’époque, on prenait un conseiller en relations presse pour faire connaitre ses produits, mais aujourd’hui, la plupart des petites entreprises font leur pub via les réseaux sociaux. D’un côté, cela confère un avantage considérable : ça coûte beaucoup moins cher et le contrôle est entre vos mains. Mais d’un autre côté, si on n’est pas présent sur les réseaux sociaux, on n'existe pour ainsi dire pas.

On a toujours aimé vendre une entreprise à travers l'histoire personnelle de la personne qui se tient derrière elle, mais aujourd'hui, j’ai l’impression que cela a atteint des niveaux de confidentialité et d'intimité presque honteux. La mesure de la honte dépend évidemment de la personne qui fournit l’aperçu de sa vie et de celle qui s’y immisce, mais à cause des programmes de télé-réalité, tout s’est élargi à un autre extrême, qui n’existait pas avant.

Mes jeunes amies qui sont à leur compte se sentent comme des poissons dans l’eau, dans le monde du marketing d'aujourd'hui. Elles partagent leurs vies sur Facebook, créent des Stories passionnantes avec tous les effets, les filtres, les stickers et les adresses colorées, de manière créative et vraiment impressionnante. Elles intègrent complètement cela dans leur réalité quotidienne, avec l'appareil photo du téléphone prêt à saisir le moment tandis qu’elles pensent au texte d'accompagnement qui apparaitra lorsqu’elles appuieront sur le bouton. Elles le font presque sans effort, naturellement, comme si cela faisait partie de nos vies… et elles ont même l’air d’aimer ça.

En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de mal à adopter cette dynamique, car cela me demande de sortir de ce monde et de penser de manière virtuelle. Pour moi, c'est comme si je devais dire, au beau milieu d’un moment avec mes enfants à la piscine : « Arrêtez tout, je dois maintenant réaliser un film qui me fera une super promo » et cela exige de moi une formidable force mentale de créativité, autrement dit, c’est l’inverse du naturel.

J'ai parlé avec une amie de mon âge et je me suis rendu compte qu'elle ressentait la même chose que moi. Je ferais probablement une généralisation approximative en osant dire que notre génération, n’ayant pas grandi dans la réalité virtuelle des smartphones, d’une accessibilité et d’une exposition permanente, se sent parfois sur les réseaux sociaux comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Quand j'étais jeune et que je travaillais avec Berry Sakharov, nous préservions sa vie privée avec zèle. A l’époque, ce n'était vraiment pas cool de révéler qui vous êtes, comme ça. Certes, il y a eu des interviews à la radio et sur le papier, mais c'est un art en soi – de traduire les mots de votre imagination en des choses écrites et en laissant une possibilité qu’on les déforme (un art dans lequel je suis spécialisée à ce jour). Mais faire de soi une pub ambulante ? Ecrire sur soi-même chaque jour, à longueur de journée ? Au sport, au jardin, à l'anniversaire de son fils, dans la voiture, en route pour un spectacle, et même aux toilettes, D.ieu préserve !

Jusqu’à ce jour, cela me semble vraiment exagéré et j’ai beaucoup de mal à coopérer avec tout cela. J'ai vraiment essayé de vivre cette double vie – réalité et réalité virtuelle, mais je ne peux pas le faire jusqu'au bout. C'est comme si mon corps résistait et criait : « Ce n'est pas convenable, cette façon de partager, c'est tordu, ce n'est pas normal. » Et puis je vois que, chez d'autres, c'est tout-à-fait normal, et je me retrouve confuse, à nouveau. J'ai le sentiment que je dois décider si ma vie est la mienne ou s'il s'agit d'une promotion pour mon entreprise, qui est un aspect particulier de moi-même. Cela embrouille, n’est-ce pas ? Si vous avez moins de la trentaine, probablement pas… Et si vous avez quarante ans ou plus, soit on essaie de normaliser la situation, soit on reste à jamais en dehors de la story

Traduit de l’hébreu par Carine Rivka Illouz

Ecrivez-nous ce que vous pensez!

Merci pour votre réponse!

Le commentaire sera publié après approbation

Ajouter un commentaire