La médisance s’oppose au Divin
Cette mise en exergue de la parole et de sa fonction constitue l’un des aspects les plus originaux du texte. La parole a pour le 'Hafetz 'Hayim, le même statut que l’acte...
Démarche et logique de l’argumentation
Le texte est écrit en hébreu rabbinique et utilise également l’araméen lorsqu’il cite le Talmud ou le Zohar. L’immense majorité des juifs ne connaissaient pas ces langues ou fort mal et n’étaient pas familiers de ces textes. Le public visé était par conséquent celui des rabbins et érudits. Or ce lectorat ne peut être convaincu de la justesse d’une opinion que si celle-ci se déduit – d’une manière ou d’une autre – des fondements mêmes du judaïsme, tels qu’exprimés par les textes canoniques et selon une méthode entérinée par les premiers rabbins du Talmud.
L’innovation dans le champ de la pensée juive – même radicale – doit toujours pouvoir être liée aux textes fondateurs, selon une logique acceptée par la tradition. Le Talmud en constitue le meilleur exemple, car les rabbins – dont les propos et les débats forment le corps – n’ont de cesse de justifier leurs options et choix, parfois extrêmement novateurs et radicaux, par des textes antérieurs et selon une méthode déductive précise. La loi rabbinique n’est pas celle de la Bible, elle est même parfois en contradiction avec sa lettre.
Malgré tout, l’innovation légale est rattachée au texte biblique, fut-ce par “un cheveu” selon l’expression talmudique. Ainsi, la loi du Talion a toujours été montrée en exemple de la cruauté de la loi juive, preuve de l’infériorité du judaïsme et de la nécessité de le “dépasser”.
Or, les versets dont il est question ont été compris et analysés par le Talmud comme la nécessité de réparer le dommage en évaluant sa valeur : celle d’un œil ou d’une dent, selon la situation de celui qui l’a subi (un œil pour un borgne n’a pas la même valeur que pour celui qui voit des deux yeux), mais jamais comme l’injonction d’infliger un dommage équivalent au dommage subi en compensation.
Ce faisant, les rabbins du Talmud considèrent donner une lecture parfaitement conforme au texte biblique, alors même qu’elle va à l’encontre de son sens immédiat. Ainsi, la Tora doit être entendue comme la Bible, avec les commentaires et l’interprétation qu’en donne la tradition juive et non pas, le texte biblique seul. L’enseignement juif – c’est-à-dire la Tora au sens large – est symboliquement une et inchangée depuis le Pentateuque. La pensée juive repose sur la tradition qu’il y a transmission et approfondissement, sans modification depuis la révélation sinaïtique.
Ce principe est entériné et exprimé par la Michna qui stipule que les seules sources de la loi sont : la Tora donnée à Moïse et la coutume validée et entérinée comme loi par les décisionnaires précédents. Le 'Hafetz 'Hayim s’inscrit dans cette pensée et entend par conséquent expliquer pourquoi son œuvre est d’ores et déjà présente dans le Pentateuque, fût ce implicitement. Son travail n’aurait, selon lui, consisté qu’à déduire, systématiser et reformuler des éléments déjà présents dans des sources antérieures.
En fait, la thèse développée était originale à sa parution, y compris pour le milieu juif auquel le texte s’adressait. L’auteur, par modestie, minimise son apport à la fin de son avant-propos mais il ne faut pas s’y tromper. L’aspect conventionnel de la méthode d’exposition masque en première lecture la nouveauté du propos ; l’énorme succès de l’ouvrage en atteste, depuis sa publication jusqu’à aujourd’hui.
Pour l’auteur, l’interdit de médisance est au cœur du Projet divin de création du monde, de son achèvement, ainsi que du rôle et de la place de l’homme dans celui-ci ; cet aspect n’ayant jamais été traité avant lui de manière systématique, il relie ensemble des éléments épars dans la Bible, mais également dans ses commentaires, y compris le Talmud ou le Midrach.
La force et la nouveauté résident dans la synthèse qu’il réalise et expose en préambule de l’exposition des lois. Il effectue par là, un renouvellement de la pensée juive et met à jour des structures originales de l’éthique. Le 'Hafetz 'Hayim avait un objectif concret et immédiat, celui d’améliorer les relations et le climat social entre les juifs de l’Europe de l’Est, dans le cadre de la tradition la plus stricte.
Les deux objectifs ne sont pas immédiatement compatibles, sauf à réintégrer la parole dans le cadre des obligations religieuses, ce qu’il fait dans son ouvrage. Il s’agit de mettre en œuvre une démarche qui soit à la fois concrète – en donnant aux juifs des règles qui leur permettent de vivre dans une plus grande sérénité et paix sociale – et à la fois conforme à l’orthodoxie juive la plus stricte. Là réside l’intérêt profond du texte pour qui veut le lire dans le cadre de la tradition littéraire rabbinique. Ce n’est pas le point de vue du présent travail, cela mérite d’être malgré tout mentionné.
Afin d’inscrire son propos dans le strict cadre de la tradition juive et convaincre son lecteur, l’auteur adopte une démarche progressive qui part des fondements mêmes de la conception juive de l’univers, du peuple juif et de son histoire pour faire, en fin de compte, des lois sur la parole la clé des questions de Sainteté, de compréhension et de rédemption du peuple juif. Par extension, la parole serait le moyen le plus efficace d’agir sur la création dans son ensemble.
L’avant-propos est construit autour de cette démarche générale. Elle s’articule en cinq parties :
1) les principes fondamentaux du judaïsme, la nature de la relation à D-ieu, l’accession à la sainteté, les satisfactions à en attendre et les conditions de leur obtention ;
2) la nécessité de ne plus médire au regard : a) des conséquences passées de la médisance sur le cours de l’histoire juive, ses moments clés et tournants b) des conditions nécessaires à la réalisation de la promesse divine des temps messianiques ;
3) l’impact de la médisance sur le fonctionnement de l’univers, jusque et y compris la sphère divine ;
4) les raisons de la négligence vis à vis de la médisance constatée chez la majorité des juifs ;
5) les raisons pour lesquelles ce sujet n’a pas été traité exhaustivement avant le présent ouvrage
L’introduction qui faite suite à l’avant-propos poursuit le même but de convaincre de la nécessité d’éviter la médisance et le ragot, mais la démarche est plus prosaïque et directement morale. Elle est davantage centrée sur l’individu et les obligations qui incombent à tout juif, puisqu’elle s’attache à montrer en quoi la médisance nie les valeurs positives et fondamentales du judaïsme, ses interdits incontournables et indiscutables, que tout un chacun doit s’attacher à mettre en œuvre. Elle peut être décomposée en quatre parties :
1) L’amour et le respect du prochain, de même que la recherche de la paix amènent nécessairement à éviter la médisance et le ragot. De nombreux exemples dans le texte biblique nous montrent que la médisance a causé malheur, aliénation et mort au peuple juif et ce depuis la faute d’Adam et Eve. La médisance se ramène au meurtre.
2) Quiconque recherche le Bien ne peut que s’abstenir de médire, mais aussi d’écouter la médisance. Il y a là également transgression d’un interdit énoncé dans les dix commandements. 3) Les lois de régulation de la parole contiennent implicitement tous les autres commandements vis-à-vis du prochain et une grande partie de ceux vis-à-vis de D-ieu. 4) Enfin, avant d’entrer dans les détails des interdits et obligations, le 'Hafetz 'Hayim définit la calomnie, la médisance et le ragot.
Principes, finalités et modalités de la relation à D-ieu
Béni soit l’Eternel D-ieu d’Israël qui nous a distingués de toutes les nations, nous a donné sa Tora et nous a fait entrer en Terre sainte afin que nous ayons profit à observer tous Ses commandements. Car il n’a d’autre intention que notre bien et notre accession à la sainteté grâce à eux, ainsi qu’il est écrit (Nombres 15 : 40) :
“Afin que vous vous souveniez et que vous accomplissiez tous ses commandements et que vous soyez saints pour votre D-ieu.” Or il ne tient qu’à nous de recevoir Son bon influx et l’essentiel de Sa générosité dans ce monde ci et dans le monde à venir, ainsi qu’il est écrit (Deutéronome 10 : 12-13) : “Que te demande l’Eternel ton D-ieu si ce n’est (…) de respecter les commandements de Dieu et Ses décrets que Je te t’ordonne aujourd’hui pour ton bien” (voir le commentaire du Nahmanide sur “pour ton bien” et le début du verset “que te demande” qui confirme cela).
Et par ailleurs, il ne suffit pas qu’Il nous ait donné son instrument précieux, mais Il nous a également ordonné de ne pas l’abandonner ainsi qu’il est écrit (Proverbes 4 : 2) : “Car Je vous donne d’utiles leçons, n’abandonnez pas Ma Tora.
Ce n’est pas comme l’attitude d’un être de chair et de sang qui, s’il fait un beau présent à son prochain qui ne l’emploie pas de façon correcte et ne l’apprécie pas à sa juste valeur, désire et espère que son ami changera du tout au tout et en profitera. Tel n’est pas notre D-ieu, qui a fait se lever pour nous – à chaque génération à l’époque du premier Temple – des prophètes afin de nous faire revenir dans le bien. Ce fut également le cas à l’époque du second Temple car la situation des israélites, à cause de nos nombreux péchés, avait perdu de sa sainteté première et ils furent privés des 5 choses qu’ils avaient dans le premier Temple.
Avec tout cela nous étions sur notre terre, nous avions le Temple et nous pouvions accomplir tous les commandements de la Tora. Ainsi nous pouvions parfaire toutes les parties de l’âme qui se trouvent en nous, car dans l’âme il y a 248 membres et 365 tendons spirituels (cf. “Les portes de sainteté” de notre maître le rabbin 'Hayim Vital, chap. 1, 1ière partie, porte 1).
Les fondements du lien à la transcendance
Toute réflexion s’appuie sur un certain nombre d’hypothèses. Le 'Hafetz 'Hayim ne fait pas exception à la règle. Ces principes ne sont pas démontrables et ne peuvent être ramenés à d’autres principes antérieurs et primitifs. Ils constituent – en quelque sorte – l’axiomatique de sa pensée, au même titre que les axiomes d’Euclide fondent la géométrie dite euclidienne, alors qu’ils ne peuvent être démontrés ni prouvés. Sans doute est-ce la limite de toute rationalité et le début de la croyance.
Tout axiome et principe n’est vrai que pour autant qu’un individu – et au-delà, une communauté humaine – le tient pour vrai et ce de manière subjective. Il lui permet de construire une représentation cohérente, pour lui, de la réalité et de s’appuyer sur une tradition qui a montré, dans le cas de la tradition rabbinique, sa fécondité intellectuelle.
Sans ces principes, l’ensemble du texte perd son sens et sa logique. Ils en constituent, en quelque sorte, la garantie. La thèse s’appuie une représentation très affirmée du peuple juif et de sa relation à D-ieu. Le propos n’entend pas s’inscrire dans une démarche empirique, partant des faits et les analysant pour comprendre les lois qui les gouvernent. Il ne vise pas à donner des conseils pratiques de bon sens, mais à montrer que la nature même du lien du peuple juif à D-ieu impose à celui là de ne pas médire.
Ce serait un contresens majeur que d’envisager l’approche de la médisance développée par le 'Hafetz 'Hayim comme relevant d’un souci de politesse, de savoir vivre ou d’us et coutumes agréables et recommandables. Il s’agit de poser un corpus de lois auquel tout un chacun doit se soumettre, dès lors qu’il souscrit à un certain nombre d’hypothèses et de croyances. Le lien entre les deux est ici considéré comme absolument nécessaire.
Le premier paragraphe du texte donne le cadre et la nature du lien à D-ieu. Dans quel contexte se place cette relation à la transcendance et quels en sont les principes intangibles ? Il donne la façon dont l’auteur – et au-delà, la tradition juive – conçoit la place assignée au peuple juif, les espoirs qu’il peut nourrir, les moyens que D-ieu lui a donnés et ainsi, le sens et la fonction de l’ensemble du corpus législatif juif.
La bénédiction comme affirmation des fondements de l’humain
L’auteur bénit D-ieu, en tant qu’il est garant du sens de toute la vie juive et de sa pensée. Il pose par ce moyen les trois valeurs les plus chargées de la pensée juive : le peuple juif comme ayant une relation particulière à D-ieu, la Tora comme moyen de trouver un sens à la vie juive et la Terre sainte comme objectif matériel et symbole de la rédemption. Dans la première raison de la bénédiction de D-ieu, l’auteur pose le peuple juif comme distingué par D-ieu. Cette élection trouve sa source dans la Bible, depuis le pentateuque jusqu’aux prophètes.
Être choisi par D-ieu signifie d’abord et avant tout avoir reçu la Parole divine – la Tora – pour l’accomplir. Cette élection signifie donc que D-ieu a librement choisi le peuple juif pour recevoir la Tora, mais également que le peuple juif l’a librement acceptée. Cette acceptation vaut d’ailleurs pour chaque génération. Le peuple juif est ici considéré comme une entité permanente dans le temps.
L’alliance contractée avec la génération sortie du désert engage toutes les générations futures. Ceci est essentiel dans toute la tradition juive, et revêt une importance toute particulière pour le 'Hafetz 'Hayim. Certes, les juifs peuvent remettre en question cette alliance, mais elle reste et demeure inaliénable et éternellement valable. Même si ses contemporains furent attirés par les valeurs occidentales ou un engagement politique comme le sionisme alors commençant, ils devraient toujours répondre à D-ieu de leur infidélité éventuelle.
En contrepartie, D-ieu ne remet jamais en cause son choix. Il peut punir, corriger pour ramener les juifs à la Tora, mais ne renonce ni ne désespère jamais au point de remettre en cause l’Alliance passée avec Abraham et renouvelée avec Yits'haq et Ya'aqov. Pour le 'Hafetz 'Hayim, le refus de la halakha de la part d’un grand nombre ne remet pas en cause la Promesse divine de rédemption.
Cette croyance doit être replacée dans la perspective de la situation des juifs de Russie à l’époque et des choix du 'Hafetz 'Hayim. Pour lui, les juifs doivent avoir confiance en la promesse de Rédemption divine et attendre le Messie en diaspora, tout en supportant au mieux leur situation d’exil.
La libre acceptation de la Tora – dont le 'Hafetz 'Hayim – fait mention dans son renvoi au commentaire de Nahmanide, a comme autre conséquence l’absolue responsabilité du peuple juif quant à ses choix de vie. Chacun, juif ou non juif, doit rendre compte de ses actes à D-ieu. La situation du juif a ceci de particulier qu’il est jugé conformément à la loi juive.
Ce faisant, le 'Hafetz 'Hayim ne fait que reprendre un thème classique de l’exégèse rabbinique. Néanmoins, il va un pas plus loin ici, en mettant l’accent sur la parole dont chacun doit rendre compte, au même titre que de ses actes, voire davantage. Cette mise en exergue de la parole et de sa fonction constitue l’un des aspects les plus originaux du texte. La parole a pour le 'Hafetz 'Hayim, le même statut que l’acte au regard de la halakha. Sans Tora, il ne saurait y avoir ni judaïsme ni pensée juive, tant et si bien que l’un et l’autre sont intimement et inextricablement mêlés. C’est l’objet de la deuxième bénédiction.
La Tora est habituellement traduite par le terme de loi, or le concept de Tora dépasse largement le seul domaine législatif. Il s’agit de l’Enseignement au sens large, à la fois contenu de sagesse, source de règle de décision et livre d’histoire où trouver les clés de la compréhension de la situation présente, héritage des générations antérieures. La Tora permet au sujet juif de s’incarner hic et nunc. Elle lui permet de se définir positivement et lui fournit un contenu intellectuel et symbolique.
La troisième bénédiction concerne la Terre sainte, dans laquelle le peuple d’Israël est entré ainsi que le relate la Bible. Le peuple juif a donc vécu sur une terre sur laquelle il a pu s’accomplir et vivre dans l’abondance matérielle, si l’on suit le récit biblique. La question de la terre est centrale puisqu’elle symbolise la fin de l’histoire et surtout, la fin de l’oppression et la fin des difficultés économiques que connaissaient les juifs de Russie à l’époque de publication de l’ouvrage.
En d’autres termes, la Terre d’Israël est synonyme de rédemption. Elle est à la fois mémoire, espérance et récompense. Ces trois valeurs fondamentales sont liées intimement entre elles: chacune d’elles nécessite les autres pour trouver sa cohérence et sa signification. Il y aura rédemption et liberté sur la Terre d’Israël pour le peuple juif. Pour que ceci se réalise, il est nécessaire que celui-ci comprenne le sens de son histoire, ses ressorts et sa dynamique au moyen de la Tora.
Cette compréhension nécessite comme préalable la prise de conscience chez chaque juif du statut particulier du peuple juif en tant que tel, vis-à-vis de D-ieu. Ainsi, chacune des bénédictions renvoie aux deux autres pour former un système complet, à la base de la représentation juive de D-ieu, du monde et de la place du peuple juif.
La sainteté comme modalité du lien à la transcendance
La question de la sainteté est l’une des plus importantes pour tout penseur religieux. À cet égard, le 'Hafetz 'Hayim ne fait pas exception et s’inscrit dans la continuité des penseurs juifs qui l’ont précédé. La sainteté est associée, dans la pensée juive, à la notion de séparation et de distinction. Ainsi que l’explique Adin Steinsaltz : “en hébreu, la signification fondamentale du concept de “Saint” (“Qadoch”) est séparation : ce qui est éloigné et séparé de toute autre chose.
Ce qui est saint se situe en dehors des limites, est intouchable et somme toute, est au-delà de ce qui peut être perçu ; le sacré ne peut être compris ni même défini, tant il diffère de toute autre notion.
Être saint, c’est donc, essentiellement, être catégoriquement autre. Cette séparation – ou mise à part – d’un lieu, d’une personne réalise un rapprochement avec D-ieu et la transcendance, car : […] le seul qui puisse être appelé saint est D-ieu.
Le Saint-Béni-Soit-Il, l’Être suprême, le Saint par excellence, ne ressemble à rien d’autre, tant Il est incommensurablement distant, sublime et transcendant. Néanmoins – et paradoxalement – on peut parler de propagation de la sainteté dans tous les mondes, en fonction de leurs divers niveaux et même dans ce monde qui est le nôtre, dans tous ses constituants – le temps, le lieu et l’âme.
Mais c’est seulement en s’unissant à la sainteté suprême que les mondes peuvent recevoir la sainteté. Car aucun être ne possède de sainteté intrinsèque : elle est le fruit de sa réceptivité, qui peut aller croissant, à la Sainteté divine. Ainsi, un objet ou un temps – profanes à la base – peuvent sous certaines conditions devenir saints.”
Le peuple juif n’est pas intrinsèquement et initialement saint. Il est un peuple choisi par D-ieu, qui a vocation, dans la pensée juive à accéder à la sainteté. À de nombreuses reprises dans le Pentateuque, le peuple juif y est exhorté. En devenant saint, le peuple juif accomplirait l’intention initiale de D-ieu à son égard qui fut de le mettre à part des nations pour Le servir.
Cette mise à part n’a de sens pour la pensée juive traditionnelle, que dans l’optique d’une accession à la sainteté, ou encore, pour le dire autrement, d’un Rapprochement du divin. D’une manière plus générale, au delà du strict cadre du judaïsme, la sainteté peut se concevoir comme la prise de conscience de plus en plus aiguë du sujet de son lien à la transcendance et de sa liberté radicale. Il peut décider de renforcer et affirmer ce lien à la transcendance.
Agir dans le sens de la halakha, c’est tenter d’accéder à la sainteté. Cette sainteté n’est pas déconnectée du réel et ne s’atteint pas par oubli ou négation du monde matériel. Au contraire, l’approfondissement de la relation au prosaïque permet seule d’accéder à la sainteté. Celle-ci est une attitude dans le monde plaçant l’action et la vie dans tous ses aspects, sous la catégorie du transcendant. Elle ne procède pas d’une sortie du monde quotidien vers le monde des idées pures en se débarrassant de la gangue des phénomènes physiques, mais ne cesse de tenter de lier étroitement le quotidien et les Idées.
Le juif a pour fonction de faire descendre le Roua'h Haqodech (l'Esprit de sainteté) et la Chekhina (Présence divine) au milieu des hommes et de la vie afin de les transformer. La bénédiction, c’est-à-dire l’expression orale de la sainteté et du changement de statut symbolique, constitue le mode privilégié de la sanctification. Au moment du passage d’un temps profane à un temps de fête et réciproquement, une bénédiction est prononcée. Elle marque ce changement de statut.
Il n’est pas accessoire, que la parole soit au cœur de ce processus, qu’il s’agisse du temps (les fêtes et le Chabath) ou des objets (nourriture, lieu, etc.). La parole – couplée à l’acte – est l’instrument qui réintègre la dimension de sainteté dans le profane en séparant symboliquement une partie de ce dernier pour en faire l’expression de la transcendance.
Le propos sur autrui comme domaine possible de sainteté
D’une certaine manière, l’auteur innove en faisant de la parole l’outil d’accession à la sainteté pour l’humain, au même titre que pour les objets ou le temps. Traditionnellement, l’acte accompagné de la bénédiction inscrit la sainteté dans la vie juive. Ici, le propos prosaïque, à condition qu’il satisfasse certaines conditions, est mis sur le même plan que l’acte comme moyen de sanctification.
Poser la non médisance comme condition de la sainteté pour l’humain, revient à poser la parole portant sur autrui comme constitutive de celle-ci. Désormais, dans tous les cas, la sainteté se réalise lorsque la parole sociale et l’acte remplissent certaines conditions.
Partant, elle peut se définir comme une modalité particulière et privilégiée du rapport à la transcendance. Si l’on suit le 'Hafetz 'Hayim jusqu’au bout, ne pas tenir des propos susceptibles de faire honte à autrui – y compris ceux prononcés en dehors de sa présence – constituerait un moyen privilégié d’accès à la sainteté. La sainteté se trouverait dans le mode de relation de chacun à autrui.
À suivre…
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