Je deviens prêtre !

Nous étions vêtus du caftan noir obligatoire, avec son col blanc. Chaque caftan était fait sur mesure, d’une qualité supérieure et d’un prix… exorbitant. De fait, ce caftan devait durer de longues ann

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Shlomo Brunell

Posté sur 06.04.21

Nous étions en 1978. Après cinq années passées à l’université, dix-sept jeunes étudiants en théologie se rassemblaient dans la vieille ville de Porvoo (Borga) afin de se préparer pour la cérémonie d’ordination du sacerdoce qui aurait lieu le dimanche suivant. Le dôme médiéval se tenait d’une façon majestueuse dans le centre de la ville, signalant calmement l’influence et le pouvoir de l’Église luthérienne en Finlande. Au pied du Dôme, la résidence de l’évêque – un manoir à deux étages – était la maison de réception, la veille du grand évènement. 

La semaine avait été remplie par les préparations de dernière minute. Mes études universitaires étaient officiellement terminées. J’avais étudié à l’Université de Turku, la capitale culturelle de la Finlande. L’idée de posséder maintenant un diplôme de maîtrise me remplissait d’un sentiment de joie.
 
Bientôt, l’Église allait donner sa bénédiction à ces jeunes et impatients étudiants pour leur permettre d’exercer ce qu’ils avaient étudié. Recevoir un diplôme en théologie ne permet pas seulement de devenir un prêtre au sein de l’Église. L’université est une institution gratuite avec un programme spécifique. De nombreux étudiants deviennent des enseignants, journalistes, chercheurs. Pour ceux qui le désirent, il y a ensuite les deux semaines de préparation réservées à l’ordination.
 
La réception du soir servait également de répétition de dernière minute à celle – plus officielle – de l’ordination. L’avocat du diocèse était présent pour nous rappeler l’importance du serment saint pour les fonctions que nous allions assumer. Cet avocat était plutôt controversé ; certains l’aimaient, tandis que d’autres n’auraient même pas voulu l’entendre. Dans tous les cas, nous étions tous d’accord pour dire qu’il était intelligent et très doué : des qualités essentielles qui étaient généralement la terreur des personnes qui se trouvaient être ses adversaires.
 
Le droit de l’Église faisait partie du programme d’étude. J’aimais beaucoup ce sujet et la personne qui l’enseignait. Soudain, nous devinrent tous sérieux. L’avocat nous expliqua le serment que nous nous apprêtions à prendre ce matin-là. La combinaison de sa voix énergique et son attitude nonchalante – résultat de sa bonne connaissance du sujet – réussit à capturer l’attention complète de l’audience.
 
“Je ne peux pas faire cela” un des candidats s’exclama. “Cela devient trop sérieux. Mon ‘oui’ est un ‘oui’ et mon ‘non’ est un ‘non’, mais je ne peux pas jurer sur la Bible que j’obéirai à l’Église le reste de ma vie.” La tension devenait palpable. Allions-nous entendre des disputes avant la fête ? Pour les candidats hésitants, il existait une alternative : faire une déclaration solennelle plutôt que de jurer sur la Bible.
 
Cela était sans doute satisfaisant pour les candidats apeurés, mais en même temps, cela créait un doute pour les autres. De fait, certains commençaient à réexaminer leur situation et le sens réel de ce qu’ils se préparaient à faire.
 
À cet instant, je ne sentais aucune raison pour me rebeller. J’étais prêt à faire le pas et en prenant le serment sur la Bible, je m’étais plus l’accent sur les Écritures saintes que sur l’Église elle-même. Cela était – en fin de compte – le sujet de notre serment. Cependant, je considérais la promesse et le serment comme un engagement pour la vie qui ne devait jamais être rompu.
 
Dans ces mois qui précédaient cet évènement unique, la joie et la satisfaction me furent prises lorsque mon père – que sa mémoire soit bénie – décéda soudainement, six mois avant mon ordination. Il avait suivit de près mes études et il était impatient de venir assister à la cérémonie de mon ordination.
 
Le reste de ma famille vint assister tout de même à la fête et je rassemblais toute ma famille dans un hôtel, dans le centre de la ville de Porvoo (Borga) : ma femme, ma mère, ma sœur et mes deux frères avec leurs épouses et ma belle-mère. Notre petite fille Linda – qui était âgée de seulement un an à cette époque – resta à la maison avec une baby-sitter.
 
Cette cérémonie d’ordination était la seconde pour notre famille. Deux années auparavant, nous avions assistés – en Suède – à celle de mon frère. Birger avait étudié la théologie à l’Université de Uppsala et il fut ordonné dans ses fonctions de prêtre au sein de l’Église de Suède, dans la ville de Luleâ en 1976. La même année de mon ordination, on lui avait proposé de devenir l’assistant de l’évêque qui officierait lors de ma cérémonie. La perspective de voir mon frère se joindre dans le même clergé que le mien me remplissait de bonheur.
 
Par nature, ma mère ne fut jamais une personne qui partageait ses sentiments. À cette période, elle était encore plus enfermée dans sa douleur d’avoir perdu son mari avec lequel elle avait partagé sa vie pendant presque quarante années. Même si elle n’exprimait pas ses sentiments, je savais qu’elle était très heureuse pour moi et pour la famille.
 
Dans la mesure où j’étais le plus jeune de la famille, ma mère avait longtemps été anxieuse à mon propos et à la pensée que je devais finir mes études et m’installer dans la vie, une vie dévouée au service de D-ieu. Le jour de mon ordination fut donc une sorte de victoire pour sa foi et pour ses efforts. Maintenant, elle pouvait se reposer : son plus jeune enfant allait avoir une profession respectable et un poste envieux.
 
Même si ma mère ne le dit jamais, à sa propre façon, elle voulait m’indiquer quelque chose. Je compris cela en lisant la carte de félicitations qu’elle avait écrite pour moi ; sur cette carte y figurait un dessin de ma maison d’enfance. Ma mère ressemblait à ‘Hanna – dans le Temple de Jérusalem – qui désirait offrir son fils au service du Tout-Puissant. Maintenant que deux de ses fils étaient devenus prêtres au sein de l’Église, sa satisfaction était à son comble. Sur la carte de félicitations, était inscrit le Psaume 84 :
 
Que Tes demeures sont aimables, Éternel-Cébaot ! Mon âme soupirait et languissait après les parvis du Seigneur : que mon cœur, tout mon être célèbrent le D-ieu vivant ! Même le passereau trouve un abri, l’hirondelle a son nid où elle dépose ses petits. [Moi, je rêvais] de tes autels, Éternel-Cébaot, mon Roi et mon D-ieu. Heureux ceux qui habitent dans Ta maison et sans cesse récitent Tes louanges! Sélah !
 
Heureux l’homme qui met sa force en Toi, dont le cœur connaît les vraies routes! En traversant la vallée des larmes, ils en font un pays de sources, qu’en outre une pluie précoce couvre de bénédictions. Ils s’avancent avec une force toujours croissante, pour paraître devant Dieu à Sion.”
 
Le dôme était rempli. Les candidats se mettaient en rang dans la sacristie, la pièce réservée aux prêtres, située à l’arrière de l’autel. Nous étions vêtus du caftan noir obligatoire, avec son col blanc. Chaque caftan était fait sur mesure, d’une qualité supérieure et d’un prix… exorbitant. De fait, ce caftan devait durer de longues années.
 
Ce manteau long – qui allait jusqu’aux genoux – était le vêtement des jours de fêtes pour le prêtre : il le portait pour les mariages, les funérailles et toutes les autres occasions ; ce manteau est l’équivalent du costume trois-pièces que tout le monde connaît. L’habit de tous les jours du prêtre et un costume habituel qui est porté avec une chemise noire et un col blanc. Cependant, pour la réception d’ordination, il n’était pas question de porter les vêtements ordinaires : cela était un jour de fêtes réellement unique !
 
Les assistants marchaient derrière nous et en dernier, se trouvait l’évêque. Lorsque nous rentrâmes dans l’Église, l’orgue et les trompettes retentirent ; en une seconde, l’Église fut remplie des sons de la merveilleuse chorale. Un sentiment fort et indescriptible envahi mon corps tout entier. Je n’avais plus la notion de l’époque à laquelle nous vivions : médiévale ou moderne, ancienne ou biblique ; en réalité, peu m’importait. Tout était concentré en cet instant et – à mes yeux – il était le point central de l’histoire. À ce moment précis, je sentis que ma jeune vie était maintenant liée à une histoire dont l’importance était beaucoup plus grande que la mienne.
 
Lorsque la procession atteignit finalement le devant de l’Église, nous nous mirent en demi-cercle devant l’autel, prêts à nous agenouiller pour recevoir la prochaine bénédiction pendant le service, après qu’on nous ait donné nos vêtements liturgiques. Tous les candidats exprimèrent leur foi en l’Église. Ensuite, nous dirent notre volonté de server l’Église et de lutter contre l’hérésie ; nous étions habillés avec nos habits cléricaux, ce qui était le signe visible des prêtres ordonnés. Ces vêtements devaient être portés seulement lorsque nous officions à un servie de l’Église.
 
Parmi les assistants à la cérémonie, se trouvaient les amis des candidats. D’autres personnes avaient été invitées parce qu’elles étaient membres des congrégations où les candidats avaient été assignés pour prendre leur première position. J’avais le privilège d’avoir mon frère présent parmi l’audience. C’est lui qui posa sur moi les insignes cléricaux. Ce fut un moment très important dans ma vie : nous étions unis – mon frère et moi – dans la même mission : servir D-ieu.
 
Mon ordination fut un évènement joyeux et rempli de bonheur. C’est ainsi que je comprenais le verset des Psaumes qui étaient inscrit sur la carte que ma mère m’avais donné : “Assurément, un jour dans Tes parvis vaut mieux que mille [autres] ; je préfère me tenir au seuil de la maison de mon D-ieu, plutôt que de séjourner dans les tentes de l’impiété.”
 
Le service était maintenant terminé. Maintenant, il était temps de penser à la vraie vie ! Chaque candidat se dirigeait vers sa nouvelle position qui lui avait été assignée par l’Évêque. J’avais fait part à celui-ci que je préférais m’impliquer dans une congrégation qui se situait sur la côte ouest du pays. L’Évêque avait sans doute écoutait mon vœu car ma première congrégation fut celle de la ville de Vasa, où je devais servir comme prêtre junior, entouré de quatre prêtres séniors.
 
 
(“Strangers No More, par Shlomo Brunell. Traduit et reproduit avec l'autorisation des éditions Gefen House 2005 www.gefenpublishing.com).

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