Ce trop long exil

Nos fautes sont les principales causes de la durée de notre exil. Néanmoins, le péché commis par la langue en est la raison la plus importante...

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Gilbert Issard

Posté sur 06.04.21

Lorsqu'ont été étudiés nos comportements et scrutées ces fautes, il apparaît qu’elles sont les principales causes de la durée de notre exil. On en trouve beaucoup. Néanmoins, le péché commis par la langue en est la raison la plus importante.
 
 
L’histoire comme forme d’exégèse biblique
 
Afin de montrer comment la médisance influe sur le cours de la vie juive, l’auteur reprend l’histoire biblique telle qu’elle est vue par la tradition rabbinique. Il ne s’agit pas d’une volonté d’analyse critique, ni de vérification par rapport à des faits ou recherches telles que l’histoire positive l’entend. L’histoire se tire du texte biblique lui-même, du Talmud, de la littérature rabbinique et d’aucune autre source. La Bible n’est-elle pas ici la vérité ultime et le critère absolu ? Elle est autosuffisante. Il n’est aucunement nécessaire de vouloir la vérifier en la confrontant aux résultats de l’archéologie ou des recherches historiques. Cette démarche n’est pas, et ne se veut pas scientifique mais exégétique. Ne nous méprenons pas sur l’objectif de cette analyse. Elle vise à montrer que l’histoire se déroule conformément à une logique interne, qui est celle du respect de la halakha en général et de la médisance en particulier. Tous les avatars du peuple juif s’expliquent grâce à elle. La médisance est la quintessence de la Tora en cela qu’elle effectue la synthèse d’une grande partie des obligations auxquelles le juif doit se soumettre .
 
 
La fonction de l’histoire
 
Le temps et l’histoire sont une dimension fondamentale du judaïsme en raison des évolutions et adaptations permanentes du judaïsme depuis la révélation du Sinaï. (…) Dès lors que le Messie est encore attendu, il n’y a pas de changement qualitatif majeur dans l’histoire sous la forme de “temps nouveaux” qui auraient profondément transformé le rapport à Dieu. (…) Le judaïsme considère que la relation avec D-ieu évolue dans la continuité, sans que les termes du contrat passé au Sinaï n’aient jamais été modifiés substantiellement. L’histoire possède une fonction très précise dans la pensée du 'Hafetz 'Hayim, celle de révéler la valeur des actes de l’homme et leur conformité à la Tora. L’histoire possède un sens, celui qui part de la Création divine et aboutira aux temps messianiques. Elle rend possible l’accomplissement de la création par la rédemption du peuple juif.
 
Néanmoins, le progrès n’est nullement mécanique, il dépend de la qualité de chaque génération. Comment évaluer la valeur de l’une d’elles ? Par le sort qui lui est réservé par l’histoire et les autres nations, vues comme moyen de punition choisi par D-ieu. Après avoir commis une faute aux yeux de la Tora, le peuple juif est puni, parfois longtemps après. Il s’agit d’une des caractéristiques majeure de la conception du 'Hafetz 'Hayim de l’histoire : celle de l’existence d’une mémoire longue des actes. Les conséquences n’apparaissent pas toujours immédiatement pour les transgressions en général et toujours avec retard pour la médisance.
 
La médisance retarde la rédemption; non seulement elle entraîne des châtiments – tels que l’exil et la destruction du Temple – mais elle aliène le peuple juif de son D-ieu qui refuse de l’écouter et d’accéder à ses prières. La médisance aurait donc deux conséquences négatives et serait punie de deux façons : directement par l’intermédiaire des autres peuples et indirectement en empêchant que la faute soit effacée. Par conséquent, l’événement historique peut s’analyser selon deux dimensions : le laps de temps écoulé entre le moment de l’événement répréhensible et celui de sa conséquence (le retard) et d’autre part, la durée de la conséquence (le Refus divin d’entendre la prière et de l’exaucer).
 
 
Médisance et pardon divin
 
Pour le judaïsme, le pardon et la clémence dépendent à la fois de l’offenseur et de l’offensé. Le travail doit être commun chez les deux parties en présence. Le fautif est dans l’obligation de s’amender et de demander le pardon et la clémence de l’offensé. Le judaïsme différencie le pardon d’une offense faite à un autre humain de celle faite à D-ieu. La démarche de réparation n’est pas la même selon l’offensé. Alors qu’il existe des procédures de réconciliation entre humains, l’offense faite à D-ieu fait appel à un autre registre : celui de la prière, du repentir, dont la fête de Yom Kippour constitue le point culminant dans le calendrier juif. Quoiqu’il en soit, la demande de pardon est indispensable comme préalable au pardon. Trop souvent, cette étape est omise, dans une confusion entre pardon et confession. Le “excusez-moi” entend reconnaître la faute, voire la culpabilité, mais exclut de fait l’offensé qui ne peut donner le pardon. Aucune question ne lui est posée, aucune réponse ni agrément n’est attendu. Dès lors, quel pardon est possible ? S’agit-il véritablement d’une demande de pardon ?
 
Donner le pardon sans qu’il y ait eu demande instaure un déséquilibre entre les deux parties. L’offensé ne peut plus être entendu, ni justice être faite. “Je me suis excusé” dira alors l’offenseur, considérant que le pardon est ipso facto acquis par la simple prononciation d’une formule. Ce faisant, il oublie qu’il n’est pas juge de l’offense dans l’affaire, mais l’une des parties et uniquement cela. Le Pardon divin passe également par le changement effectif du comportement incriminé. Ainsi, il ne suffit pas de demander le pardon, mais bien de renoncer aux actes répréhensibles. Sans cela, il n’y aurait que répétition de la situation et le pardon perdrait tout son sens. Une fois le comportement modifié – et le pardon demandé – l’amélioration de la situation est totalement entre les mains de celui à qui le pardon est demandé. Ainsi, afin que la situation s’améliore il est nécessaire de simultanément améliorer son comportement – ici ne plus médire – et d’autre part prier pour obtenir le Pardon divin.
 
Le retard mentionné plus haut, dans la survenance des conséquences de la médisance, peut s’exprimer comme le refus de pardonner immédiatement de la part de D-ieu. Certes, la promesse de rédemption n’est pas remise en cause, mais le pardon est d’autant plus long à venir que le niveau de médisance est important.
 
 
La médisance comme frein au progrès
 
Lorsqu'ont été étudiés nos comportements et scrutées ces fautes, il apparaît qu’elles sont les principales causes de la durée de notre exil. On en trouve beaucoup. Néanmoins, le péché commis par la langue en est la raison la plus importante. D’une part, étant donné que c’est la cause fondamentale de notre exil ainsi qu’il est montré dans la Guemara Yoma et dans le Talmud de Jérusalem, comme il est rappelé plus haut; dans ce cas, si l’on ne s’emploie pas à redresser ce péché de quelque façon, comment sera t-il possible d’être délivré, vu le tort qu’il a causé ? Comme c’est à cause de lui que nous avons été exilés de notre terre, a fortiori, c’est à cause de lui que nous n’arrivons pas à y rentrer.
 
D’autre part, n’est-il pas connu qu’Il avait décidé de nous infliger l’exil depuis longtemps, depuis l’épisode des explorateurs ainsi qu’il est dit (Psaumes 106 : 26-27) : “Il a étendu Sa main sur eux pour les disperser … parmi les nations et les disperser dans les pays” et ainsi expliquent Rachi et Nahmanide à ce sujet dans le Pentateuque (Nombres 13 : 1). Et ce péché des explorateurs n’était-il pas la médisance comme l’explique le Talmud Arakhin 15b ? S’il en est ainsi, nous sommes contraints de corriger ce péché, préalablement à notre libération.
 
De plus, on trouve un commentaire qui stipule que cette faute a fait qu’Israël serait exilé avec dureté, sur la base du verset de l’Exode (2 :14) : “Ainsi, la chose est connue”, consulte l’explication qu’en donne Rachi. De plus, on trouve un commentaire dans le Midrash Rabba (Tetsé 86 : 14) : “Le Saint Béni Soit-il, dit : ‘Dans ce monde-ci – parce qu’il y a de la médisance – Je retirerai Ma Chekhina de parmi eux, mais dans le futur etc.’” Et par ailleurs, il est écrit dans le Deutéronome 33 : 5 : “Et ainsi devint-il Roi de Yechouroun, les chefs du peuple étant réunis, les tribus d’Israël unanimes”, et Rachi explique ici (il suit l’explication du Sifré Deutéronome) “quand est-il Roi de Yechouroun réellement ? Lorsque les tribus d’Israël sont unanimes et ne forment pas de nombreux clans. Il est connu que ceci va de pair habituellement avec la médisance.”
 
Il suffit de s’interroger : comment les bénédictions du Saint-Béni-Soit-Il peuvent-elles venir sur nous étant donné que – parmi nos nombreuses transgressions – nous avons pris l’habitude de commettre ce péché ? N’y a t-il pas à ce sujet une malédiction expliquée dans la Tora (Deutéronome 27 : 24) : “Maudit soit celui qui frappe son prochain dans l’ombre” ? Or cela concerne la médisance ainsi que l’explique Rachi sur ce verset. De même les autres malédictions qui s’y trouvent s’y appliquent aussi, ainsi qu’il est expliqué plus loin à la fin de l’introduction, voir ci-dessous. De même, n’est-il pas connu à partir de la Guemara Arakhin 15b qui est mentionnée ci-dessus, que ce péché augmente infiniment, jusqu’à ce qu’on dise du fautif qu’il est un impie, à D-ieu ne plaise. De plus, il est dit dans le Talmud de Jérusalem Pea (ch. 1, loi 1) que l’on reçoit une punition à cause de ce péché dans ce monde-ci et infiniment plus dans le monde à venir.
 
 
Médisance et progrès futur
 
Le 'Hafetz 'Hayim ne se contente pas de relire l’histoire juive. Il complète cette analyse par l’élucidation de ce qu’il considère comme le rapport entre la condition juive à une époque donnée et la réalité de la médisance qui peut se constater. Après avoir montré comment la médisance oriente l’histoire – et constitue l’un de ses mécanismes profonds et essentiels – il détaille la gravité de la faute et la durée de ses conséquences. Son propos vise à montrer que la médisance est un frein à l’émancipation des juifs et que l’avènement des temps messianiques passe par l’élimination de la médisance. Le futur du peuple juif dépend pour le 'Hafetz 'Hayim de sa capacité à éliminer toute forme de médisance de ses propos.
 
 
La mémoire de la médisance
 
Le tort causé par la médisance ne peut être annulé rapidement. Certaines fautes ne peuvent être effacées rapidement et un temps minimum doit s’écouler avant qu’elles ne soient oubliées ou pardonnées. Il y a une dimension temporelle à la médisance qui doit être analysée comme un processus qui se déroule dans le temps. Effectivement, la médisance est un acte qui a ensuite des répercussions et qui peut revenir à l’envoyeur sous une forme ou une autre, que celui-ci ne peut vraiment contrôler. En filigrane, se pose la question de savoir s’il est possible de tout pardonner et avec quel délai ?
 
Un dommage grave peut ne jamais être résolu, une broutille peut l’être immédiatement; entre les deux, le délai dépend de la gravité. Les extraits bibliques et talmudiques donnés par le 'Hafetz 'Hayim montrent que la médisance a eu – d’après la lecture rabbinique du texte biblique – des répercussions à long terme. Indépendamment de la croyance en une Intervention divine, il est indubitable qu’une mémoire des comportements existe au sein de tout groupe humain. (…) Ce type de mécanisme serait également à l’œuvre dans les phénomènes de médisance. Si tel était le cas, il devient nécessaire d’analyser la médisance comme un ensemble d’actions et de réactions qui se propagent au sein d’un groupe humain, avec des conséquences négatives.
 
À suivre…
 
 
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