La reine de la classe

Neuf années sont passées depuis le lycée. Des jours mémorables, des jours d'humiliation et de douleur, juste parce que la reine de la classe m'avait prise en grippe et s'était fixé un but : me faire souffrir.
 
Dans la vie, il y a une règle qui dit : si quelqu'un souffre à cause de toi, peu importe la raison, tu souffriras aussi.

Surtout ces jours-ci : les dix jours de pénitence et Yom Kippour, puisque la halakha dit que Yom Kippour n'expie pas les fautes commises entre l'homme et son prochain, à moins qu'il lui ait d'abord demandé pardon. On ne peut pas demander au Créateur de nous pardonner d'avoir fait de la peine à quelqu'un auprès de qui l’on ne s’est pas excusé, et qui ne nous a pas pardonné.

Et recevoir le pardon de quelqu'un de blessé, comme tout le monde le sait, n'est pas chose facile, c'est même beaucoup plus compliqué qu'on ne le pense. Qu'est-ce que cela signifie ?

En lisant cette histoire, vous comprendrez jusqu'où les choses peuvent arriver quand il s'agit de pardon entre les gens.
Vous souvenez-vous d'elle, la reine de la classe ?

Quelle question ! Quiconque a été à l'école se souvient de ce concept, positif chez certains, source de frissons pour d'autres. La reine de la classe, elle est le centre d'intérêt, celle dont l'opinion compte pour tout le monde, « on s'accroche » à ce qu'elle dit et on répète après elle. C'est comme ça quand on est la reine. Et si elle décide d'abuser de quelqu'un et de l'humilier, tout le monde participe et se joint à la terrible fête.

L'histoire qui suit m'a été racontée par le Rav Chalom Arouch, c'est une histoire vraie, qui m'a fait verser beaucoup de larmes.
 
***

J'ignore quoi, mais quelque chose en moi faisait qu'elle me voyait comme sa cible : la reine de la classe trouvait un intérêt particulier dans le fait de se moquer de moi. Elle m'humiliait en permanence devant tout le monde. Chaque occasion était une excuse pour rire de moi.

Les autres filles de la classe se joignaient à elle, comme si quelqu'un avait annoncé « Les filles, on fait une fête et tout le monde est invité ! »

C'était très dur, ça m'a fait beaucoup de mal, ça a ruiné ma confiance en moi, ça a détruit ma vie. Après chaque humiliation, je pouvais sentir le sang couler de moi comme un fleuve. Je n'avais plus de sang.

De façon évidente, cela influa sur moi à tous points de vue. En classe, je n'arrivais pas à me concentrer, ni à comprendre ou à suivre le rythme des interros ; sans parler de mes mauvaises notes qui étaient devenues mon quotidien, malgré moi. Ce n'est pas surprenant ! Après de telles humiliations, qui a la force de se concentrer sur des paraboles ? J'étais profondément déprimée.

La reine de la classe aimait rire des autres. Comment définissait-elle cela ? « Prendre la vie du côté amusant. » S'amuser sur le dos des autres ? Au prix de leur tristesse ?

Elle voyait en moi une figure facile à ridiculiser et prenait toujours soin de lancer un indice qui arriverait à mes oreilles en pensant que je ne comprendrais sûrement jamais rien avec mon cerveau. J'avalais des pilules amères d'insultes et d'humiliations. Je les avalais, mais elles ne disparaissaient pas, elles faisaient rage en moi, détruisant chaque parcelle de bon. Je n'avais pas une seule pensée positive sur moi-même, je ne croyais pas en moi et je craignais de dire ce que j'avais sur le cœur. Dailleurs, je parlais peu. Je la détestais dans mon cœur. Des histoires de vengeance animaient mes rêves, ce que je ressentais, c'est qu'elle m'avait tuée. Je ne lui ai pas pardonné ! Elle m'a détruite ! Elle a ruiné mon âme !

Les années ont passé, j'ai terminé mes études et suis entrée dans la vie active. J'ai essayé de travailler –mais sans succès. Fonder un foyer –évidemment, sans succès non plus. Ma vie ne me souriait pas. Tout cela à cause de cette reine de la classe, qui m'avait fait perdre confiance en moi, au point que je ne croyais ni en moi, ni en mon potentiel, en rien.

Ainsi, les années passèrent. Une, deux, trois… neuf ans ! Je n'ai pas réussi à me marier et à fonder mon propre foyer, contrairement à mes amies qui étaient déjà mamans et profitaient de leurs enfants. Et moi ? J'étais toujours dans cette dépression que je trainais depuis le lycée. Neuf années de profonde souffrance et d'angoisses terribles.

Un jour, alors que je marchais dans la rue, je rencontrai Ronit, une copine de lycée. Elle était déjà mariée, poussait une poussette et était entourée de deux petits enfants.

« Maya ! Comment vas-tu ? » Me questionna-t-elle, joyeuse. Je n'avais même pas la force de lui répondre, mais elle ne me laissa pas tranquille.

« Viens chez moi, qu'on parle un peu, » demanda-t-elle. « Non, je n'ai pas tellement envie, » répondis-je. Mais elle ne laissa pas tomber jusqu'à ce qu'elle finisse par me tirer jusque chez elle. Là-bas, chez Ronit, je réussis à laisser sortir des sentiments qui étaient bloqués dans mon cœur endurci depuis neuf ans. J'éclatai en sanglots déchirants et je lui confiai tout ce que j'avais traversé pendant ces années, la souffrance et la douleur que j'endurais. « Tout cela à cause de cette fille, cette reine de la classe. A cause d'elle, je n'arrive pas à faire quoi que ce soit avec moi-même, et me marier, n'en parlons pas. Tu sais, il ne me reste pas une goutte de confiance en moi, j'ai même peur de me marier, j'ai peur de ne pas réussir, et c'est terrible ! »

Ronit écoutait chacune de mes paroles. Elle savait ce que la reine en question était devenue car elles étaient en contact de temps en temps : elle s'était mariée avec un jeune riche qui habitait aux Etats-Unis. Mais Ronit savait aussi qu'à part cela, elle n'avait rien, ni enfants, ni bonheur. Sa vie n’était qu'épreuves et déceptions. Au fil de notre discussion, Ronit comprit quelle était la cause de tout cela et sut de façon évidente pourquoi nous souffrions toutes les deux.

Après mon départ, Ronit téléphona à la reine de la classe et lui raconta notre rencontre. Celle-ci n’attendit pas une seconde et m’appela des Etats-Unis. Lorsque j’entendis la voix de celle qui me causait tant de souffrances, je ne sus pas quoi penser ni comment réagir.

« Je te demande pardon, » elle éclata en larmes.

«  Comment oses-tu me demander pardon ? Penses-tu pouvoir effacer en une phrase tout ce que tu as détruit pendant tant d’années ? Toute la souffrance ? A cause de toi, je n’ai pas de foyer. Je ne peux pas te pardonner. » Je raccrochai le téléphone et me mis à pleurer comme une petite fille. Pendant toute la journée, une question résonnait dans ma tête : comment ose-t-elle me demander pardon ? Quel toupet !

Une semaine s’écoula et la reine vint en Israël, directement chez moi, chargée de cadeaux. Elle entra dans le salon et ma mère m’appela. Au début, je ne voulais ni la voir, ni l’entendre, mais ma mère insista pour que je vienne au salon. Je me laissai convaincre et me retrouvai face à une femme triste, aux yeux larmoyants, une femme tourmentée qui souffrait.

On s’assit et elle se mit à me raconter tout ce qu’elle avait traversé, 9 ans de traitements sans succès. Pas d’enfants. Elle avait rencontré les meilleurs médecins, mais rien n’aidait. Elle était profondément déprimée et n’avait le gout à rien. Pendant toute notre rencontre, elle ne s’arrêta pas de pleurer. Et va savoir pourquoi, cette fois, elle ne me demanda pas pardon, cette fois, elle me demanda de lui raconter ce que j’avais traversé.

Ce que je fis. Après avoir entendu les résultats de ses actes en tant que jeune lycéenne, en tant que « reine de la classe », elle comprit son énorme erreur. « C’est terrible, et j’en suis la cause. Mais je t’en supplie, aie pitié de moi. De la pitié, c’est ce que je te demande, pas de pardon, juste de la pitié. Je souffre tellement, et tu souffres aussi. »

Toutes deux nous mîmes à pleurer.

Une fois calmées, je la regardai à nouveau dans les yeux et je vis une femme différente, docile, pas la hautaine mégère du lycée. Celle qui m’avait
blessée, je n’étais pas prête à lui pardonner, mais à cette femme en face de moi, je pardonnai.

Pour la première fois depuis neuf ans, je ressentis un calme purifiant se répandre dans mon cœur et dans tout mon corps.

Peu de temps après cette rencontre, j’eus le mérite de me marier. Et la « reine » ? Elle eut le mérite d’étreindre son fils ainé.

Après le mariage, alors que je planais sur un nuage de joie fraiche et pure, je compris que non seulement cette femme qui avait ruiné ma vie avait souffert à cause de cela, mais que moi aussi, par la colère et la culpabilité que je ressentais à cause du fait que je refusais de lui pardonner. Et ce n’est pas tout : la colère qui faisait rage en moi n’avait fait que renforcer les émotions négatives qui me faisaient me sentir comme dans un piège dont je ne savais pas comment sortir.

Cette douloureuse histoire m’a fait comprendre –maintenant que je suis plus détendue que jamais- qu’une personne blessée qui a du mal à pardonner et garde en son cœur toutes sortes de sentiments négatifs, se fait autant de mal que la personne qui l’a blessée. Ce qui est un gros problème.
 
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« Je pardonne à tous ceux qui… et que personne ne soit puni à cause de moi. » (Prière du coucher)
 
Aujourd’hui plus que jamais, pendant les dix jours de pénitence, quelques jours avant le grand jour –Yom Kippour-, soyons plus prudents et essayons de ne blesser personne. Et même si quelqu’un nous a blessé ou vexé, nous devons prendre les choses avec foi et amour, même si ça fait mal, et croire que tout ce que le Créateur nous envoie, tout est pour le bien ! Et tout est fait selon Sa justice parfaite.
 
Et surtout : pardonnons ! Ne gardons rien sur le cœur. Car si nous pardonnons, le ciel nous pardonnera. Si nous pardonnons, le Créateur du monde nous pardonnera.