Les dernières volontés du rabbin Klein
Ceci n’est pas un testament. Ne possédant rien, je n’ai rien à léguer à qui que ce soit...
Ancien adjoint du Grand Rabbin de France Jacob Kaplan, le rabbin Samy Klein fut fusillé par les allemands le 7 juillet 1944. Soupçonné d’appartenir à un mouvement de résistance, la police française trouva son corps – avec ceux de deux amis – au bord d’un champ. Le rabbin Klein était âgé de 29 ans lorsqu’il écrit cette lettre, six semaines avant sa fusillade. (Lettre extrait du livre “Souviens-toi d’Amalek” de Chimon Hammel, éditions CLKH, 1982)
Ceci n’est pas un testament
“Ceci n’est pas un testament. Ne possédant rien, je n’ai rien à léguer à qui que ce soit. Mais la vie, en cette saison, ne tient qu’à un fil, et plus l’on est jeune, plus vite on risque de disparaître, au hasard d’une balle, au gré d’un occupant ou de l’un de ses complices. C’est pourquoi, à 29 ans – l’âge où mourut mon père (que son souvenir soit bénédiction) – j’essaie de fixer par écrit quelques désirs dont on voudra bien tenir compte, dans la mesure du possible, au cas où je serais emmené au loin, voire si je disparaissais pour l’éternité.”
“Quoi qu’il advienne, ma dernière pensée sera pour vous, mes chéries, que j’ai passionnément aimées, de façon fort différente, comme mère, comme sœurs, comme femme, comme filles. Ne récriminez pas contre l’incompréhensible justice de D-ieu. Essayez plutôt par vos pensées, vos paroles et vos actes, de faire cesser l’incompréhensible bêtise des hommes. Pendant toute la durée de mon absence, c’est toi – Marguerite chérie – qui sera chef de famille. À toi d’être forte pour cinq. Je sais que je puis entièrement compter sur toi pour cela.”
“Pendant ces trois années de vie commune, qui furent un inappréciable bonheur, tu as montré tant de courage et de compréhension pour ma vie dangereuse que je te confie maman qui, elle-même, au cours de sa vie, a constamment fait preuve d’une vaillance exceptionnelle, qui me fut un exemple constant et me guidera, si D-ieu m’inflige la souffrance. Veille aussi sur Jeanne, affectueuse et bonne à l’extrême.”
“Quant aux enfants, je désire qu’elles deviennent des filles courageuses et loyales. Que leurs regards, dont les premiers rayons me furent une joie exquise soient tournés non vers le triste passé, mais vers le joyeux avenir. Je ne veux pas que mon absence ou ma disparition grève, durant un temps plus ou moins long, le bonheur de nos enfants. Nous avons été trop heureux ensemble tous les quatre, tous les six, pendant ces années terribles pour nous plaindre maintenant. Et puis quand Israël et la France souffrent ensemble le plus terrible martyre de l’Histoire, n’est-il pas normal qu’un rabbin Français paye son tribut ?”
“Sachez que la mort et la souffrance ne me seront rien parce que j’aurai accompli mon devoir d’homme, parce qu’en partant, je laisse une femme qui saura affronter la vie, une fille dévouée, une mère extraordinairement bonne, tout cela en une personne. Ne me déçois pas, chérie.”
“Je désire donc que pour leur bien, tu sois sévère avec les enfants afin qu’elles deviennent, non pas de ces filles insouciantes et superficielles, mais des femmes cultivées et intelligentes, fortes et travailleuses et pour qui le sentiment de l’honneur – si bafoué aujourd’hui – ne soit pas un vain mot. Tu ne négligeras rien pour leur formation juive : je désire qu’elles soient instruites en hébreu, en Bible, en prières et en prescriptions et de bonne manière.
Enseigne toi-même les rudiments et prends pour elles par la suite, un Maître compétent ; je serais heureux qu’elles sachent lire l’hébreu à l’âge de cinq ans, comprendre les prières essentielles à l’âge de huit ans et traduire la Bible à douze ans.”
Si le Mouvement des Éclaireurs Israélites de France évolue dans le sens où il semble s’orienter, alors qu’elles y entrent. Mais qu’elles soient Éclaireuses d’esprit en tout cas. Au point de vue de la culture générale, quelles que soient leurs aspirations, veille surtout à la formation littéraire, à la correction de leur langage, à la beauté de leur style. Ne néglige pas de surveiller leur caractère, que je voudrais ferme sans excès et affectueux et sociable.
Ne néglige rien pour éliminer sans retard tout défaut grave, quoi qu’il t’en coûte. Et qu’elles deviennent des juives françaises, imbues de l’honneur, d’Israël et de la double richesse que confèrent Israël et la France. Qu’elles fassent honneur à leur famille.”
“Qu’elles soient des Klein, non dans leurs paroles, mais en leur âme. Quant à toi, mon amour, que D-ieu te guide et t’accorde Sa bénédiction pendant tout le temps que nous serons séparés. Maman et Jeanne chéries, ne vous laissez pas aller et serrez-vous les coudes. Papa, si courageux, héroïque même dans sa pure conception du devoir, vous y aidera, j’en suis sûr. Ainsi, unies, fortes et confiantes, ayant cher papa d’un côté, chère Liliane et Théo de l’autre pour vous soutenir, vous vous direz que j’ai accepté avec résignation la décision du Très-Haut et je vous demande de l’accepter de même.”
Une carrière interrompue trop tôt
“Mon avant-dernière pensée aura été pour ma carrière. Si je suis devenu rabbin, c’est que depuis longtemps j’ai le sentiment qu’un corps rabbinique honorable peut modifier la misérable allure de notre judaïsme et d’autre part, que le judaïsme français a besoin d’un rude coup d’épaule. Certes, j’avais quelque chose à dire et à faire dans ce domaine. Mais d’autres l’accompliront aussi bien si vous savez les former.
Après la tourmente, comptez-vous, unissez-vous et mettez- vous au travail, vous les jeunes mes frères à qui mes convictions puis ma fonction m’attachèrent par des liens indissolubles. Soyez catégoriques : refusez carrément de vous laisser entraîner dans des considérations politiques et marchez droit au but.”
“Si les circonstances le permettent et si vous désirez encore m’associer à vos débats, invitez Marguerite à vos délibérations : sa timidité de femme ne l’empêchera pas de refléter avec exactitude ma pensée et l’essentiel de mes projets. C’est le judaïsme traditionnel qui devrait demain inspirer les chefs du judaïsme français (…). Quelle force, spirituelle et matérielle représenterez-vous ensemble si, au lieu de vous jalouser mesquinement, vous ne formez plus qu’un bloc (…).”
“Au fur et à mesure que j’écris je m’aperçois que la tâche est grandiose. J’ai comme un regret de ne pouvoir y participer dès maintenant ou jamais. Mais, quoi ? Vous le ferez bien tout seuls si, après vous être négligés vous-mêmes au profit d’autrui pendant des années, vous rattrapez le temps perdu. Rappelez-vous que rien ne vaut l’étude : la Tora importe plus que tout. Enfin, à tous, aux miens et à mes amis, à ceux que j’aime et qui me le rendent, à mes enfants surtout, je lègue cette ultime pensée : Accomplir son devoir et l’accomplir entièrement, sans défaillance ni lâcheté, tel est le but suprême de la vie.”
“Que D-ieu vous bénisse. Au revoir. Je vous embrasse, Samy, Lyon, le 24 mai 1944.”
6/16/2024
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