La colère détruit la vie

La femme de Leibele revient de la cuisine et crie : “Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Tu ne cesses pas de me faire souffrir, quelle erreur de t’avoir épousé !”

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le Rav Shalom Arush

Posté sur 06.04.21

Vivre en sanctifiant HaChem
 
Beaucoup de gens se leurrent et pensent que l’accomplissement d’un commandement justifie la colère, l’énervement, ou même de heurter quelqu’un. En vérité, il ne s’agit que d’une ruse du mauvais penchant qui se déguise sous le couvert d’un précepte pour mieux pousser l’homme à commettre les pires transgressions.
 
Il faut savoir que comme il est interdit de voler de l’argent pour acheter un cédrat (étrog), des phylactères (tefilines) ou accomplir un quelconque commandement, il est aussi interdit de se mettre en colère ou de s’énerver pour aucun commandement au monde. L’interdit de la colère est plus grave que celui du vol, comme nos Sages de mémoire bénie l’expliquent : Se mettre en colère, c’est comme pratiquer l’idolâtrie. Et ils disent encore : Celui qui admet l’idolâtrie, renie la Tora toute entière. Quant au vol, bien qu’il soit grave, ils ne le comparent pas à l’idolâtrie.
 
L’énervement est aussi un grand défaut, car c’est l’expression du mauvais penchant (sitra a’hara) et le Saint béni soit-Il le déteste. Et comment un commandement peut-il justifier une conduite détestée par le Saint béni soit-Il ? De plus, faire souffrir autrui est une faute entre l’homme et son prochain, qui est beaucoup plus grave que celle commise entre l’homme et HaChem et tellement plus difficile à corriger.
 
De telles erreurs proviennent d’un manque de foi, car l’homme ne croit pas que les empêchements qui le bloquent sont voulus par HaChem, ni qu’HaChem béni soit-Il le met à l’épreuve s’il se met en colère ou non, ou s’il heurte des gens ou non. La seule et unique manière de surmonter ces empêchements, c’est la prière. Mais, il brandit l’étendard de ‘C’est ma puissance et ma force’ et fait tout dépendre de lui-même, comme s’il avait la force de plier la réalité à sa volonté. Non seulement il faut croire que tout est entre les mains du Créateur dans le domaine matériel, mais aussi dans l’accomplissement des commandements, où il y a grand danger que le mauvais penchant le fasse tomber dans ses filets d’orgueil et de puissance.
 
Leibele, le cordonnier
 
Afin d’illustrer ce qui précède, voici une histoire authentique et édifiante :
 
C’est une nuit de Pessa’h. Autour de la sainte table de rabbi Aharon ‘le grand’ de Karlin, de mémoire bénie, tous ses disciples sont réunis dans une ardente et sainte révérence. Il est inutile d’insister sur la joie et l’enthousiasme qui accompagne la fête (Seder) de Pessa’h chez l’un des plus grands maîtres de la ‘Hassidout.
 
Rabbi Aharon, de mémoire bénie, conduit le Seder selon les indications du Ari z’l et les ‘hassidim goûtent presque à la saveur du monde futur, comme s’ils participaient eux-mêmes, maintenant, à la sortie d’Egypte en voyant les miracles et prodiges.
 
Les ‘hassidim remarquent que le rabbi devient silencieux, il ferme les yeux comme dans l’attente d’un événement mystérieux à venir. Les ‘hassidim gardent eux aussi le silence tout en guettant leur maître. A la fin, rabbi Aharon se secoue avec un sourire aux lèvres. Il montre sur son visage qu’il prend un grand plaisir à ce qu’il voit. Les ‘hassidim l’interrogent : “Maître, dis-nous ce que tu vois, et pourquoi cette joie et ce sourire ?” Rabbi Aharon leur répond : “Vous savez certainement que notre Seder de Pessa’h est différent de tous les autres, n’est-ce pas ? Sachez aussi que notre Seder, avec toute sa sainteté, est encore très éloigné du niveau de celui que Leibele le cordonnier conduit en ce moment-même, qui fait grand bruit dans les Cieux et qui plaît beaucoup au Saint béni soit-Il”. Les ‘hassidim s’étonnent : “Leibele le cordonnier ? Nous ne méprisons le Seder d’aucun Juif, que D. nous en préserve, et il est évident que l’accomplissement de tout Seder de Pessah est une grande chose, mais Leibele est un homme simple. En quoi son Seder est-il si particulier qu’il dépasse celui de rabbi Aharon ‘le grand’ ?
 
Le rabbi leur répond : “Allez chez lui et rendez-vous compte par vous-mêmes”. Tous les ‘hassidim se rendent à la maison de Leibele le cordonnier pour voir quel Seder de Pessa’h spécial il accomplit, qui cause tant de plaisir et de joie à leur maître et qui fait tant de bruit dans les Cieux.
 
Arrivés à la maison de Leibele, les ‘hassidim qui se tiennent silencieusement à la fenêtre, observent à l’intérieur et ce spectacle se révèle à eux :
 
Leibele, qui n’a pas encore commencé le Seder, se tient debout, avec le plateau de pains azimes (Matsoth) entre les mains, en face de sa femme et il lui dit : “Ma chère femme, ma couronne, viens faire le Seder de Pessa’h qui n’a lieu qu’une seule fois par an. C’est une grande nuit qu’il est dommage de gâcher”.
 
L’épouse de Leibele se tient face à son mari, brûlante de rage ; elle se saisit du plateau et hurle : “Non ! Tu ne feras pas le Seder de Pessa’h !”
 
Leibele lui répond avec douceur et gentillesse, sans aucune colère : “Ma chère femme, mon âme, je t’entends, je veux que tu saches qu’il n’existe aucune femme comme toi dans le monde entier et je remercie chaque jour HaChem de m’être marié avec toi. Je te prie de venir et faisons le Seder ensemble. C’est dommage de le gâcher. L’accomplissement du Seder influence sur toute l’année à venir. C’est une ‘Nuit réservée pour HaChem’. La Présence divine y est différente de toute l’année”. Sa femme hurle, “Je t’ai déjà dit qu’on ne fait pas de Seder ce soir !” et elle ramène le plateau à la cuisine.
 
Leibele prie alors silencieusement : “Maître du monde, que Ton nom soit glorifié, je Te remercie pour ces empêchements, car tout vient de Toi. Maître du monde, aie pitié de moi, puis-je mériter de faire le Seder de Pessa’h. Je sais que c’est Toi qui le retardes, non pas ma femme. Maître du monde, pardonne-moi, excuse-moi”.
 
La femme de Leibele revient de la cuisine et crie : “Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Tu ne cesses pas de me faire souffrir, quelle erreur de t’avoir épousé !”
 
Leibele se tourne vers sa femme avec amour : “Ma chère femme, tu n’as pas idée combien je t’aime. Tu es la plus belle chose qui m’est jamais arrivé dans ma vie. Qu’est-ce qui te fait souffrir ? Dis-le moi et je ferai tout pour te faire plaisir. J’achèterai ce que tu désires. Je te prie de me laisser organiser le Seder. Celui qui prolonge le récit de la sortie d’Egypte est louable, et le temps passe ; viens mon âme, faisons ensemble le Seder et réjouissons-nous de la fête”.
 
Leibele s’approche de la cuisine pour rapporter le plateau, tout en priant : “HaChem béni sois-tu, puis-je mériter de savoir que tu me mets à l’épreuve, et l’essentiel de cette épreuve consiste à voir si je tombe dans l’hérésie de penser que c’est ma femme qui me retarde, d’utiliser la force, de l’humilier et me mettre en colère ; ou bien de croire qu’il n’existe rien hormis Toi, et que ce n’est pas ma femme qui m’empêche de réaliser le Seder de Pessa’h, mais bien Toi.
 
Je Te prie de m’aider à maîtriser ma colère et de savoir que même si je ne fais pas le Seder de Pessa’h, il est plus important de ne pas faire souffrir ma femme et de ne pas me mettre en colère. Aide-moi à être joyeux, même si je ne parviens pas à réaliser le Seder. Aide-moi à savoir que Tu attends de moi de passer par cette épreuve de la foi, que Tu es celui qui fait obstacle, que je ne me mettrai pas en colère, je ne m’énerverai pas, et que j’accomplirai Ta volonté avec joie en croyant que c’est Toi qui fait obstacle, que je ne me mets pas en colère ni ne suis énervé”.
 
Leibele rapporte le plateau et le pose sur la table. Sa femme le ramène à la cuisine en criant : “Je te l’ai déjà dit, tu ne feras pas le Seder, impie ! Je te montrerai ce que c’est. Tu ne cesses de me faire souffrir”.
 
Sans la moindre colère, Leibele apaise sa femme et parle à son cœur : “Comme je te comprends, ma chère femme, je comprends ta grande douleur. Je t’aime tant que j’éprouve une grande douleur pour le mal que tu éprouves à cause de moi. Je suis coupable de tes souffrances. Je te promets d’être bon pour toi, dorénavant ; viens et faisons ensemble le Seder car minuit est presque passé et on ne pourra plus manger l’Afikoman (le pain azime mangé en souvenir du sacrifice de Pessa’h qu’on consommait avant minuit à l’époque du Temple)”. Puis, il prie HaChem : “Maître du monde, donne-moi la raison et la connaissance qu’il n’existe rien hormis Toi. Car c’est par Ta volonté que je passe par cette épreuve de la foi. Je pensais que ma tâche était de conduire le Seder de Pessa’h, mais je vois que Tu attends de moi un autre culte : l’épreuve de la foi de ne pas me mettre en colère et de ne pas m’énerver. Aie pitié de moi, que je sache qu’il est plus important de maîtriser la colère plutôt que de faire le Seder. Car l’essentiel est de ne pas profaner la foi en se mettant en colère car sinon, je commets une faute entre l’homme et son prochain. Si je blesse ma femme, que D. nous en préserve, aucun repentir n’est utile si elle ne me pardonne pas de tout son cœur. Aie pitié de moi et inspire-moi des paroles d’apaisement qui attendrissent son cœur et calment sa peine et son courroux. Aide-moi à lui faire plaisir et à réaliser le Seder de Pessa’h”.
 
Ce spectacle se poursuit durant six heures ! Leibele apaise sa femme avec des mots d’amour, supplie HaChem, et sa femme hurle et le méprise. Soudain, sans aucune raison apparente, l’humeur de sa femme change complètement ! Elle devient joyeuse et gaie, elle presse son mari de s’asseoir et d’accomplir le Seder ! Leibele le cordonnier et sa femme s’apprêtent à accomplir le Seder de Pessa’h et elle lui sert des mets succulents avec amour et une grande joie.
 
Il est nécessaire de souligner qu’à cause du peu de temps qui reste avant l’aurore, Leibele et sa femme sont contraints de terminer le Seder promptement. Ils mangent les matsots, boivent les coupes de vin en grande hâte et lisent la Hagada en avalant les mots. Après la conclusion du Seder, ils se reposent et reprennent leur haleine : ils sont contents.
 
Après avoir suivi toute la scène en retenant leur souffle, les ‘hassidim respirent maintenant à l’aise. Finalement, tout est pour le mieux, tout s’est transformé en bien. En vérité, ils ne croyaient pas que les choses s’arrangeraient et ils étaient persuadés qu’à un certain moment, Leibele perdrait son sang-froid et sa patience. Mais à présent ils comprennent que Leibele leur a donné une leçon de foi. Ils savent aussi que le Seder de Pessa’h de Leibele – même s’il fut conduit avec la rapidité de l’éclair – est dix fois plus élevé que leur propre Seder, effectué dans le calme et la sérénité.
 
Un commandement réalisé sans problème a moins de valeur que celui qui nécessite de surmonter de grands obstacles. Rien ne vaut le mérite de surmonter des obstacles pour accomplir un commandement dans la prière, le repentir, sans force ni menaces, mais dans la compréhension, l’apaisement, l’amour et le respect. Et il est certain que Leibele a mérité cette nuit-là d’atteindre de très hauts niveaux dans son service d’HaChem, ce qui est impossible dans les circonstances, où tout se passe dans l’ordre et sans aucun empêchement.
 
‘Un commandement causé par une transgression’
 
Nous apprenons de cette histoire une règle importante : il est absolument interdit de se mettre en colère, d’être énervé ou à plus forte raison blesser quelqu’un, même pour réaliser le plus grand commandement qui soit ! Un tel commandement est appelé par nos Sages de mémoire bénie ‘un commandement causé par une transgression’. Lorsqu’il s’agit d’une transgression comme le vol, on comprend son interdit dans la réalisation d’un commandement. Cependant, la plupart des gens se trompent et pensent qu’il est permis de se mettre en colère, de s’énerver, et de mépriser des gens, pour réaliser un commandement.
 
Comme dans l’histoire que nous avons rapportée, on aurait pu croire qu’il convenait de se mettre en colère, et de forcer sa femme à accomplir un commandement aussi important que le Seder de Pessa’h. Le mauvais penchant se déguise en un zélateur d’HaChem pour inspirer de telles pensées : HaChem m’ordonne de faire le Seder ! Quelle effronterie de m’empêcher de réaliser l’ordre d’HaChem ! Je dois être prêt de me mettre en colère pour enlever en ‘l’honneur d’HaChem’, cet obstacle posé insolemment sur mon chemin. Qu’HaChem nous préserve d’un tel ‘honneur d’HaChem’.
 
Ce genre de pensée ne provient que d’un manque de foi, car si l’homme possédait la foi, il écouterait le bon penchant qui lui dit : “C’est HaChem qui pose cet obstacle sur ton chemin, car il n’existe rien hormis Lui. Et de même que tu n’as pas le droit de résoudre un manque d’argent par le vol, il est interdit d’enlever cet obstacle par une transgression, ce qui équivaudrait à un acte idolâtre (et à plus forte raison en faisant souffrir autrui)”.
 
Viendrait-il à l’idée d’un homme de voler afin d’acheter des pains azimes (Matsoth) pour faire le Seder de Pessa’h, si personne ne pouvait lui prêter de l’argent ? Bien sûr que non ! Il comprend qu’il doit agir sous la contrainte et se tourne vers HaChem en Le suppliant de lui procurer de l’argent ou les Matsoth afin de pouvoir réaliser le Seder de Pessa’h. Il n’abandonne ni sa volonté ni sa prière avant que sa requête soit agrée. Néanmoins, si sa demande est repoussée, il est contraint de s’abstenir de réaliser le Seder, bien que cela soit déplorable et douloureux.
 
Dans le cas où l’empêchement est causé par une autre personne et qu’il est impossible de maîtriser l’obstacle par des moyens agréables, il n’y rien d’autre à faire que de continuer à prier, à supplier Celui qui a vraiment érigé l’obstacle : HaChem béni soit-Il.
 
Le problème principal est l’ignorance de l’homme qui n’est pas conscient de la gravité de l’interdit de faire souffrir autrui. Il s’entête à vouloir accomplir un commandement au prix de violer de graves transgressions et décide qu’un commandement (mitsva) est plus important que les sentiments de l’autre. Qui lui a donné le droit de décider qu’il peut réaliser un commandement en causant une souffrance à autrui ?
 
L’homme ne considère pas non plus la colère ou l’énervement comme des fautes graves, mais il pense que certaines situations exigent une telle conduite et qu’il est alors permis de se mettre en colère ou d’être énervé. En vérité, c’est une grande erreur car la colère et l’énervement ne sont pas seulement de graves fautes, mais aussi une négation totale de la Tora et de toute la foi. Et sous de nombreux aspects, ces fautes sont plus graves que d’autres transgressions.
 
Entre le marteau et l’enclume
 
Par conséquent, lorsque l’homme fait face à un commandement qui se présente, mais qu’il ne peut accomplir sans se mettre en colère ou faire du mal à autrui, il est soumis à une épreuve. Le seul conseil qu’on peut lui donner, c’est de ne pas abandonner sa volonté de réaliser le commandement et de prier HaChem qu’Il ôte l’obstacle. Néanmoins, s’il ne peut réaliser le précepte, il n’a pas le droit de commettre de faute, la plus légère soit-elle. Il est contraint et cette contrainte est authentique, puisqu’il a fait tout son possible pour réaliser le commandement.
 
Il s’adressera ainsi au Saint béni soit-Il :
 
Maître du monde, Tu me places devant une situation très difficile. D’un côté, je suis tenu d’accomplir ce commandement et de réaliser Ta volonté, mais de l’autre, je ne peux le réaliser sans me mettre en colère ou heurter les sentiments d’autrui et j’enfreindrais alors Ta volonté. Maître du monde, je Te prie d’avoir pitié de moi, de m’aider à réaliser Ta volonté et d’accomplir Tes commandements sans commettre de faute. Je Te prie de lever cet obstacle et faire de sorte que je ne profane pas la foi en me mettant en colère, qui équivaut à un acte idolâtre, et à propos duquel il est dit qu’il vaut mieux se laisser tuer que de le faire. A plus forte raison, fais en sorte que je ne fasse pas de mal et que je n’afflige pas celui qui bloque mon chemin, car mon repentir ne serait pas efficace. Et qui suis-je pour décider de ce qui est le plus important : le commandement que je veux accomplir ou la douleur d’autrui ? Bien au contraire, je sais que Tu es plus sévère pour les fautes commises entre l’homme et son prochain.
 
Je Te prie de me sauver de l’énervement, qui est une hérésie totale et que tu détestes. Aide-moi à accomplir Tes commandements. Je Te prie de me sauver de cette pénible situation, de cet obstacle et de réaliser pour moi ce verset : “D-ieu agrée-t-Il les voies d’un homme, Il lui concilie même les faveurs de ses ennemis”.
 
Il devra poursuivre ainsi sa prière, sans jamais abandonner sa volonté, et il méritera sûrement d’accomplir le commandement et l’obstacle se transformera en bien, comme nous le voyons dans l’histoire de Leibele le cordonnier.
 
À suivre…

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